jeudi 25 octobre
2012
Un superbe roman
dont le sujet est la Cerro de Potosi : « Dans la montagne
d’argent », d’Anne Sibran, ed. Grasset. « Nous, les indiens, on sait bien que le diable vit avec nous dans la
mine. C’est pour lui que je suis descendu cette nuit-là, au fond des galeries.
Ce que j’avais à faire est impensable. Je l’ai fait. » Anne Sibran a,
depuis quelques années, appris le quechua et vit entre la France et l’Amérique
du Sud.
"Mais
de quoi se mêlent ces deux voyageurs !? N'ont-ils pas suffisamment de beaux et
grands paysages et antiques monuments ou ruines pour occuper leurs journées
?".
Ce à quoi nous
répondons très franchement : oui.
Seulement voilà...
il s'avère que des gens que nous rencontrons, l'espace de quelques minutes ou
de quelques heures, que les paysages et villes ou pueblos que nous parcourons,
nous posent des interrogations. Interrogations qui se meuvent en crampes
de nuits plus ou moins agitées.
Dans cet article,
nous n'aborderons que l'héritage - les mines de métaux et pierres - et non l’industrie
du gaz et des hydrocarbures et très peu celle du lithium qui constituent
véritablement l'avenir de la Bolivie :
-
Les mines, c'est toute l'Histoire
de la Bolivie
-
Les nationalisations
-
La
nationalisation, une question essentiellement politique et de conflits
-
L'inégalité
de représentation effective (et non pas légale) est facteur d'inégalité
sociale et économique
-
Quelques
mots sur le lithium tout de même...
Nos principales sources
d'information :
- le responsable
départemental pour la région d'Oruro de la Fédéracíon Sindical de Trabajadores
Mineros de Bolivia (Fstmb) ; des mineurs de Potosi rencontrés lors de l'un
des multiples blocages de cette ville; des articles du quotidien La Patria
du 19 octobre 2012; des articles de l'hebdo La Epoca, 23 au 29
septembre 2012.
Les
mines, c'est toute l'Histoire de la Bolivie
et ce bien avant
même l'arrivée des Espagnols, bien avant même l'empire Inca qui s’étendait de
ce qui est aujourd'hui l'Equateur au centre du Chili.
Ce pays est
fabuleusement riche de son sous-sol, autrefois en or et argent, aujourd'hui en
métaux les plus variés, en minéraux et pierres précieuses ou semi-précieuses,
en hydrocarbures, gaz et en lithium (les plus grandes réserves mondiales).
Cette richesse a
fait son malheur pendant des siècles, de la première colonisation par les
Espagnols jusqu'aux dernières décennies, parmi lesquelles la plus barbare : la
dictature d'Hugo Banzer.
L'héritage de
l'industrie minière des décennies passées et les perspectives á venir
constituent un bloc de conflits et tensions, ne serait-ce qu'au niveau social,
auquel l'ensemble des acteurs concernés doit faire face et trouver des réponses
qui dépassent leurs intérêts sectoriels.
Les
nationalisations
Dans un article
d’août 2012, le Figaro écrit :
« En
moins de quatre mois, le président Evo Morales a réalisé pas moins de quatre
expropriations de multinationales.
Ce
1er mai, les forces armées boliviennes ont été envoyées dans les bureaux de
TDE, l'entreprise espagnole gestionnaire des trois quarts du réseau électrique
en Bolivie, pour «prendre le contrôle de la direction et de l'administration».
Un mois plus tard, la mine d'étain de Colquiri, détenue par le suisse Glencore,
était saisie «avec effet immédiat». Le 2 août, le canadien South American
Silver se voyait déposséder de sa mine d'indium. Sans oublier en juillet
dernier la rupture de contrat avec l'indien Jindal, qui devait exploiter
l'énorme gisement de fer du Mutun.
Quatre
expropriations de multinationales, en moins de quatre mois. Depuis le 1er mai
2006, le président Evo Morales aura ainsi «nationalisé» seize entreprises
considérées comme stratégiques dans les domaines des hydrocarbures, de l'eau,
de la métallurgie ou de l'électricité. »
Loin de la
politique suivie par ses voisins, la Bolivie d’Evo Morales s’enorgueillit de
chercher une voie originale susceptible de maximiser la valeur ajoutée sur le
territoire national en évitant l’exportation du minerai brut. Le porte-drapeau
emblématique de cette politique est assurément le projet de valorisation du
lithium dans le Salar d’Uyuni.
Ceci étant, un
certain nombre de contrats importants ont été signés avec des compagnies
minières étrangères et les cours très favorables de nombreux métaux, ont néanmoins
stimulé une relance significative de l’activité minière. Celle-ci a contribué
en 2009 à près de 8% du produit intérieur brut contre 5% pour le secteur des
hydrocarbures. Le zinc a été le principal métal produit tant en valeur qu’en
tonnage, devant l’argent et l’étain. Ces derniers ont fait l’objet de projets
d’investissements intéressants qui devraient contribuer à diminuer le passif
environnemental laissé par des siècles de négligence et d’exploitation
anarchique.
La nationalisation, une question essentiellement politique
et de conflits
Un conflit fort
entre trois acteurs du pays :
-les coopératives
de production, les syndicats de mineurs et principalement la FSTMB (, l'Etat ou
MMM (Ministère des Mines et de la Métallurgie).
-La Fstmb est, et
de loin, le principal Syndicat de mineurs. Sa création remonte á 1946. Il
représente 17 000 mineurs du secteur patronal (petites et moyennes
entreprises).
-Le MMM, Ministère
des Mines et de la Métallurgie, a été créé en 2005 avec l'arrivée d' Evo Morales
á la Présidence de l'Etat et la constitution d'un nouveau gouvernement.
Nationaliser les
mines ne rencontre aucune contradiction entre les trois acteurs, c'est sur le
comment et le quand que les divisions se font :
- « Tout
nationaliser et tout de suite », c'est ce que veulent les coopératives et,
avec elles, la très puissante COMIBOL (Corporacíon Minera de Bolivia) qui
regroupe 121 coopératives;
- Nationaliser dans un plan progressif et échelonné, élaboré, accepté et mis en œuvre de façon égalitaire par les trois partenaires, comme le prévoie la Constitution, telle est la position du syndicat Fstmb.
- Nationaliser dans un plan progressif et échelonné, élaboré, accepté et mis en œuvre de façon égalitaire par les trois partenaires, comme le prévoie la Constitution, telle est la position du syndicat Fstmb.
Ces deux positions
recouvrent plusieurs facteurs de division :
- Les cadeaux
fiscaux multiples accordés depuis des années aux coopératives, patrons indépendants,
familles de mineurs et travailleurs des services connexes á la mine. L'Etat
veut aujourd'hui y mettre plus d'ordre et surtout d'égalité entre les acteurs
concernés. Ainsi par une réévaluation de l'impôt sur les bénéfices,
augmentation qui toucherait aussi les coopératives. Ces dernières s'insurgent
très vigoureusement en argumentant qu'elles ne peuvent faire de bénéfices
puisqu’elles sont régies par la loi sur les associations.
- Cette
réévaluation et réorganisation de l'impôt s'articule aussi avec un plan minier
mis en œuvre dans le cadre de la nouvelle Constitution (7 février 2009), cadre
qui redéfinit les responsabilités et rôles de chaque acteur, dont ceux
prépondérants de l'Etat. La loi redonne á chacun (coopératives, patrons indépendants,
MMM) une égalité en matière de négociation et de décision. Dans l'écrit de la
loi cela est fait MAIS dans dans le concret des choses il en est tout
autrement. Et cette profonde distorsion entre ce que disent les nouvelles lois
et ce qui se fait sur le terrain nous allons la retrouver dans á peu près tous
les aspects de la vie sociale de la Bolivie, que ce soit au niveau de la
Justice, du travail, des droits économiques, des droits des femmes, des
enfants, etc. etc.
En fait, il y a
aujourd'hui une alliance objective entre les coopératives et le MMM au point,
pour les coopératives de ne plus tenir en aucune façon compte des syndicats.
Nous y reviendrons dans le chapitre suivant.
- Une
nationalisation immédiate de l'ensemble du secteur minier conduirait à léguer à
l'Etat un héritage impossible á assumer. La situation des mines, leur
rentabilité comme leur système de production et de gestion, sont dans un tel
état de difficultés que l'Etat, en supposant qu'il est les moyens de faire
face, se retrouverait en complété incapacité á assumer. Devant cette vacance
prévisible, qui alors se substituerait á lui ? La COMIBOL qui regroupe 121
coopératives et qui, dans le rapport de force entre les différents acteurs de
la mine, est celle qui peut exercer tous les blocages en sa faveur.
L'inégalité de
représentation effective (et non pas légale)
est facteur d'inégalité
sociale et économique
Les coopératives
emploient 720 000 mineurs. A elles seules elles peuvent paralyser tout le pays,
ce qu'elles ont maintes fois démontré.
Elles ont un
vice-ministre, un sénateur, plusieurs députés.
"Elles sont
une puissance qui leur a permis, dit le responsable de la Fstmb, de faire
alliance avec le gouvernement".
Le secteur
patronal (petites et moyennes entreprises minières) emploie 17 000 mineurs.
Quelques exemples
de distorsions :
- Les
coopératives, en bloquant les principales villes en septembre dernier, ont pu
faire reculer le gouvernement sur la réévaluation de l'impôt sur les bénéfices,
du moins en ce qui les concerne... le secteur patronal, lui, y est soumis. Ceci
va inévitablement entrainer des inégalités entre salariés des coopératives et
salariés des indépendants.
- L'équipement des
mines, ne serait-ce qu'en matière de sécurité, est très particulièrement
défectueux dans le secteur coopératif, peu soumis jusqu'á présent aux contrôles
de maintenance et sécurité. Il suffit de constater le nombre de morts chaque
année dans la seule mine du Cerro de Potosi : 60 en moyenne ! "On creuse,
on creuse, peu importe comment et où", dit encore le responsable syndical.
Le secteur indépendant a, par contre, un équipement plus développé, les
accidents y sont moins nombreux, le respect des conditions de travail mieux
appliqué.
- La COMIBOL,
fédération de 121 coopératives, a envers l'Etat une dette totale estimée à plus
de douze millions de dollars US. Cette dette correspond á un prêt qui lui a été
fait il y a quinze ans et qui n'a jamais connu le moindre commencement de
remboursement. Il devait être consacré á la modernisation des mines coopératives
et il est difficile aujourd'hui d'en montrer le réel investissement.
- Le Ministère de
la Mine confirme consolider, en faveur de la COMIBOL, les 26 aires minières
dont celle-ci s'estime propriétaire. Le gouvernement a promulgué et déclaré en
2007 que tout le territoire national était "Réserve Fiscale Minière"
et que l'Etat était propriétaire des toutes les ressources minières, métaux,
gaz, etc. : "toutes les ressources minières non renouvelables sont
propriétés nationales et appartiennent aux boliviens".
Il y a, entre la
COMIBOL et le MMM, comme un sérieux point de divergence... Pour enfoncer un peu plus le clou il vient de
se révéler que cette même COMIBOL est propriétaire de plus de 25 000 hectares
de sol cultivables ! Et ce alors que la nouvelle loi agraire limite tout
droit de propriété de sol cultivable á 5 000 hectares.
L'ensemble de ces
distorsions, écrit le journaliste de La Patria, "montre qu'il y a une situation cruciale á tous les niveaux de la mine
pour définir une véritable stratégie de production, tant que ne seront pas
réglés clairement tous les niveaux du secteur minier".
Enfin, déclare la
Fstmb, "Les mineurs salariés exigent
l'application de la nouvelle loi minière et plus particulièrement de l'article
347 qui définit les modalités et garanties du travail pour les trois secteurs
miniers - le privé, le nationalisé, les coopératives - et pour les garanties
d'emploi et de travail, dans une reconnaissance d'égales responsabilités."
On le voit, le
blocage des villes et des routes boliviennes n'est pas de l'ordre d'un folklore
ou d'un sport national mais bien d'une lutte et d'une stratégie aux enjeux
considérables.
Quelques mots
sur le lithium tout de même...
Les principales
ressources aujourd'hui détectées se trouvent dans le désert d'Atacama, au Chili
: 76 %. Viennent ensuite le Salar de Uyuni en Bolivie et le désert nord de
l'Argentine. Mais il semble bien que la Chine et l'Iran connaissent aussi des
ressources aujourd'hui non estimées, du moins par l'Occident.
La méthode
utilisée pour son "extraction" est celle de l'évaporation solaire,
cette méthode est peu polluante. Mais elle est dévoratrice de territoires
désertiques et elle en transforme les conditions météorologiques (grande
évaporation et pluies).
Il est utilisé
dans l'industrie du verre et de la céramique, dans les manufactures de graisses
et lubrifiants industriels ainsi que pour l'aluminium et l'industrie
aéronautique. Enfin, il est nécessaire pour les batteries de véhicules
électriques et, dans les années 2015 à 2025, il va devenir l'un des métaux
essentiels au développement industriel planétaire.
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