dimanche 21 octobre 2012

MAJACAMARCA

MAJACAMARCA est un village situé á une cinquantaine de kilométres au sud d´Oruro, sur l´Altiplano.
Pourquoi sommes-nous allés lá pendant deux jours ?
Pourquoi pas ?
Je fais la sieste dans ce qui fut une pension et j´entends une fanfare, c´est une répétition, il y a aussi des explosions de pétards. Il est 14h 30, le soleil est de plomb sous un ciel outrageusement bleu.
La rue devant la Mairie est barrée, bloquée par des habitants qui occupent le lieu depuis 48 jours. Une banderolle, des inscriptions affichées demandent la démission de l´Alcade (le maire). Elue en 2010 il n´a rien fait depuis sa nomination. Des hommes mais surtout des femmes, tous indiens, se relaient pour l´occupation quotidienne. 

Mais oú est donc passé l´Alcade de Majacamarca ?
Ici ce pourrait être un village du Mexique dans les années 1930, tel que le décrit Juan Rulfo dans son roman Pedro Paramo :
- Mais oú vais-je trouver á me loger ?
- Allez donc trouver doña Eduviges, elle habite la maison prés du pont.
Nous sommes chez doña Léonore, elle a deux chambres. Autrefois, dans ce lieu maintenant vétuste, c´était un restaurant et une pension. Un beau restaurant dont la salle ouvrait sur une vaste cour formant patio, aux murs peints en vert pistache, rose fuschia et bordure jaune, décorée de grandes poteries joufflues brunes ou ocres rouges et aux cols étroits.  Au centre de la cour devait s´élever un eucalyptus, des bouts de troncs et de racines en témoignent. Deux bacs en ciment, prés d´un baños, servent aux lessives comme á la toilette. Notre chambre á deux lits jouxte une autre, elles sont toutes deux trés sommaires et font face á un bâtiment d´un étage - signe d´aisance passée - dont les fenêtres sans vitres semblent, du moins pour celles du rez-de-chaussée, donner sur des piéces encore occupées. Au bout de la cour un auvent donne sur une lourde porte de bois qui ouvre la rue. Sous l´auvent une voiture trés poussiéreuse, hors d´usage, avec pour nom peint sur son capot : Raphaelito
Doña Eleonore a un beau visage et un sourire clair qui égaie ses rides. Elle continue maintenant á tenir une minuscule épicerie. En ce moment, elle s´active pour nous aménager les lits, pour laver le baños á grande eau, pour nous indiquer comment allumer la lumiére : " Il faut tourner l´ampoule dans sa douille, moi je peux pas l´atteindre mais vous vous êtes grands !", elle rit, nous rions avec elle. Quelles histoires derriére ou sous ces choses dispersées ici et lá ? doña Eleonore est-elle veuve et seule ? Face á la porte de la chambre une antenne de télévision pend et oscille au bout de son fil dans le vent léger du soir.
Ce village fut un centre ferroviére important jusque dans les années 1960. Ici se faisait la maintenance de wagons, locos et voies. Quatre cents ouvriers accompagnés de leurs familles y vivaient et y travaillaient. Des ingénieurs et techniciens formateurs étrangers y séjournaient, dans une partie du village aux maisons plus cossues : des allemands, des américains, des suisses. De longues avenues bordées d´arbres abritaient les petites maisons ouvriéres, toutes en enfilades. Un incroyable réseau de rail courait sur de vastes espaces aujourd´hui couverts de sable et menant á un cimetiére de wagons, de roues, de moteurs... Toits effondrés, bâtisses aux murs en pisé dans lesquels dérivent des porcs et leurs portées, parfois une porte s´ouvre et laisse entrevoir que le lieu est encore habité, ou du moins occupé. Un village qui s'est en grande partie dépeuplé. Beaucoup ont émigré vers les villes, Cochabamba, Santa Cruz, Oruro, ou vers l´Argentine, le Chili, le Brésil, l´Europe. L´Altiplano a vu ses mines se fermer et avec elles l´activité ferroviére. Un train passe encore chaque matin, il transporte des marchandises qui viennent du Chili. 

Au centre de ce musée en plein vent et soleil, un vaste batiment tout neuf abrite le musée officiel. C'est grace á un donateur, passionné des chemins de fer, qu'il abrite aujourd´hui une trés belle collection d'une dizaine de locomotives, les plus anciennes datant de 1910, les plus récentes de 1950. Formidables machines á vapeur ou diesel qui laissent dormir leur puissance dans l'ombre du vaste hangar. L'une noire et rouge, l'autre bleue, d'autres vertes et jaunes ou bien encore rouges et brunes, leurs lourdes roues toutes pretes semble-t-il á entrer en action, elles attendent leurs mécaniciens. Ils sont lá justement, dans une série de belles photos prises quand Majacarma vibrait des pistons et sirénes d'avertissement. Mais pourquoi ce musée extraordinaire est-il si peu connu ? "Il faudrait un peu de publicité", nous dit son gardien et guide dont le pére fut lui-meme un cheminot. "L'Alcade n'a jamais rien fait pour ce musée et son information", ajoute une femme. Je fais le signe de jeter l'Alcade dans l'une des fosses d'entretien des machines, elle éclate de rire.
Mais oú est passé l´Alcade ? Il est parti avec la caisse.
Le soir oú nous sommes présents, son avocat est venu accompagné d´un représentant du département qui fait fonction de médiateur entre lui et la population rassemblée sur la place. Ca discute, ca proteste, ca dit son exaxpération, le médiateur tente de temporiser, il va falloir organiser des élections, ca ne peut pas se faire immédiatement,... La réunion se termine, le médiateur quitte les lieux, la foule entoure l´avocat qui se dégage, prend ses jambes á son cou, saute dans une voiture qui démarre en trombe. Lynchage évité ?
L´Altiplano se dépeuple. Les Pays Bas y développe une activité de production laitiére, ils y ont implanté des vaches, forment les paysans, organisent la distribution des produits laitiers. 
Mais oú est passé l´Alcade ? Un village comme un costume bien trop grand pour des habitants qui y demeurent encore.

















Autour de Cajamarca il y a une couronne, non une couronne d'argent ou d'or mais une couronne d'ordures. Elle est large de deux cent métres, formée de sacs et bouteilles en plastiques, de couches usagées, d'immondices diverses brulées ou laissés tels quels.
Cette couronne est une couronne de souffrance, tout comme celle d'épines. Souffrance d'un village laissé trop longtemps á l'abandon par sa premiére autorité, celle de son maire, et par d'autres plus larges.

Nous n'avons pas pris de photos lors du rassemblement, le soir, du village autour du représentant du département et de l'avocat de l'Alcade. Nous ne pouvions pas. C'était déjá assez que ces gens, qui tentaient de dire et de défendre leur dignité bafouée, acceptent que nous soyons lá, présents, á écouter et regarder. Nous les en remercions.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire