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Dans cet article, vous allez trouver :
- Un très bref rappel de l’histoire
récente
- - Des données démographiques et des indices économiques, de démocratie et de
corruption
- -
Pourquoi et comment nous sommes-nous autant
intéressés à la situation politique et socio-économique en Bolivie ?
-
- Avec tous ces contrastes, quels seraient les
principaux enjeux à l’œuvre dans les mouvements sociaux ?
- -
Et
les droits humains ?
Un très bref rappel historique des années passées récentes
1952 – Le Mouvement nationaliste
révolutionnaire (MNR), dirigé par Victor Estensorro, gagne les élections après
des années de guerre et de désordres. Le pays est dans une très grande
pauvreté. Le suffrage universel est instauré, la redistribution des terres aux
petits paysans s’organise ainsi que l’éducation des populations rurales, les
plus grandes compagnies minières sont nationalisées. Toutes ces réformes se
font sans grands moyens économiques et dans un désordre politique, savamment
orchestré par les USA, constant.
1964 – Une junte militaire renverse le
Estensorro alors qu’il commence à peine son troisième mandat. Suit une
succession de gouvernements faibles.
1971 à 1978 – Appuyé par les militaires et le
MNR, Hugo Banzer est placé au pouvoir avec l’aide et l’appui des USA (plan
Condor). Les terres sont redonnées aux grands propriétaires, les mines
reprivatisées, les opposants politiques et les leaders syndicaux et indigènes
assassinés, le fascisme est au pouvoir. C’est l’une des dictatures les plus
noires de la seconde moitié du XXe S. Pour mémoire : Klaus Barbie est son
conseiller spécial pour la police.
1978 à 1993 – Sous la pression sociale et
politique, mais aussi sous celle d’un coup d’Etat, Banzer doit se retirer.Nombreuses
élections, nombreuses chutes de gouvernements, trafics de drogue, corruption
galopante, hyper-inflation, très importante crise économique et sociale,…
1993 à 1997 – Le MNR revient au pouvoir après
avoir remporté les élections. Réformes économiques et sociales par un
gouvernement constitué d’entrepreneurs transformés en politiques. Vaste
programme de privatisations qui s’accompagne de mouvements sociaux à La Paz et
dans la région du Chapare (Cochabamba, au centre nord du pays, à la jonction
des Andes et de l’Amazonie)
1997 à 2001 – Hugo Banzer est réélu président.
Les privatisations s’accentuent encore, dont celle de l’eau. Nouvelles révoltes
populaires, nouvelles répressions, nouveaux assassinats et disparitions.
2002 à 2005 – Un liberal, Sancho de Lazada est
élu, face à un autre candidat : Evo Morales. Elections en grande partie
gagnées grâce aux menaces des USA : arrêt des aides économiques et
fermeture des marchés. Récession économique, grèves importantes dont celle de
la police. Guerre civile, dite « du gaz », répressions et assassinats
comme toujours, jusqu’à ce que les soulèvements populaires obligent le
successeur direct et désigné de Lazada, au pouvoir depuis 2003, perde les
élections le 18 décembre 2005 face à Evo Morales
22 janvier 2006 – Evo Morales devient le premier
président d’origine Aymara en Bolivie. Pour en savoir plus sur les Aymaras,
consulter www.aymara.org., à ne pas confondre
avec les Quechuas qui sont plus largement au sud du Pérou (voir : http://alhim.revues.org/98 ).
…suite de l’histoire toute récente
dans cet article et dans ceux qui vont suivre, sur les mines, sur la réforme
agraire.
Quelques données démographiques et indices économiques, de démocratie et de corruption
prélevés dans "Perspective monde",
Université de Sherbrooke, et France Diplomatie
Population totale : 4,7 millions en 1975 - 9,9 millions en 2010
- 15 millions prévus en 2015
pour un territoire de près de 1 100
000 km2
Près de 70% de la population vit sur
l'Altiplano et se concentre principalement dans les régions de La Paz, du lac
Titicaca et d'Oruro.
60% est d'origine indigène (principalement
Aymara et Quechua) quand bien même le dernier recensement (2012) n’en chiffre
que 46% parce qu’il est plutôt « mal vu » de se déclarer
« indigène ».
40% d'origine européenne, Espagnols,
juifs ayant fui le régime nazzi, réfugiés d'Europe de l'est, petites minorités
moyen-orientales et asiatiques, et 1% de descendants d'esclaves africains.
95 % se disent catholiques.
Espérance de vie :
52 ans en 1980
- 64 ans en 2005 – 66,5 en 2012
Mortalité infantile 2012 : 49%
Taux alphabétisation 2012 : 86,7%
PIB en dollars US : 8 198 millions en
2000 - 19 650 millions en 2010
Taux de croissance (2011) : 5,2 %
Dette publique(2010) : 3,2 Mds USD,
soit 17% du PIB.
Indice de corruption (de 1 à 10 - 0
représente le degré de corruption le
plus important)
Bolivie 2.70 en 2006 - 2.99
en 2009
Colombie 3.76
en 2004 - 4.14 en 2009
Pérou
4.50
en 1998 - 3.45 en 2004
- 2.90 en 2009
Chili 7.50 en 2002 - 7.15
en 2009
Exportations françaises vers la Bolivie(2010) : 22,5 M/EUR,
notre 154ème client
Importations de Bolivie vers la France (2010) : 65,3 M/EUR, notre
106ème fournisseur
Pourquoi et comment nous sommes-nous
autant intéressés à la situation politique et socio-économique
en Bolivie ?
Avant de venir
en Amérique du sud nous
avions lu le discours d'investiture d'Evo Morales, nous connaissions
l'existence de la nouvelle Constitution, de la réforme agraire en cours,
écouté, lu et visionné des témoignages, articles, documentaires. Nous partagions,
avec bien d'autres, un relatif enthousiasme pour ce pays qui portait un
Président d'origine indigène à une seconde mandature. Par ailleurs, en tant que
militants de la Ligue des droits de l'Homme, nous souhaitions nous rendre
compte des progrès des droits humains dans ce pays, peut-être même d'une utopie
révolutionnaire en marche.
Après cinq
semaines de voyage dans le pays, les situations que nous avons rencontrées sont
contrastées, les échanges avec des individus pour certains membres d’associations
ou de syndicats mettent en lumière des réalités complexes, des opinions et
prises de position contradictoires, parfois même violentes.
La pauvreté
Uyuni, première
ville rencontrée après la traversée du Salar et du sud Lipez, fut rude : des
alentours de ville transformés en décharge et cimetières de ferrailles, la
pauvreté visible et présente dans toute la ville sauf au tout petit centre. La
rudesse, nous avons continué de la ressentir sur l'Altiplano sec et dénudé et
ce d'autant plus que nous sommes encore en saison sèche et que le manque d’eau
se fait sentir.
La pauvreté,
parfois extrême, nous la croisons dans les villages, nous la voyons sur les
maisons de pisé qui se délabrent, dans les déformations physiques et la grande
fatigue évidente de nombre de personnes. Nous l'observons dans les périphéries
des villes, là où elle est le plus présente en milieu urbain, mais aussi dans
les centres villes où les femmes âgées, cassées, sans aucune ressource, n’ont
d’autre alternative que la mendicité.
Néanmoins, ce
n'est pas la grande misère de certaines régions du continent africain, la
sous-alimentation semble vaincue par exemple.
Les mines, les
conditions de vie et de travail
Seconde ville, second choc : Potosi et la mine du Cerro, exploitée en tourisme pour
voyeurs de misère et mangeurs de sensations fortes. Et aussi les mouvements
sociaux que nous croisons régulièrement, avec défilés massifs, colorés,
ordonnés, revendicatifs et opposés : les coopératives et les mineurs
mutualistes, les ouvriers mineurs salariés des mutuelles ou des petits patrons.
Deux organisations qui bloquent successivement les villes et se
confrontent (voir Bolivie 2012, réflexions - article 2 MINES).
Mais aussi :
- L'énorme
manifestation des petits commerçants qui, á Oruro, demandent une égalité devant
la loi et la démission de l'Alcade.
- Le défilé de
lycéens, étudiants et jeunes appelés militaires en uniforme pour l'écologie et
la préservation de la terre, á Sucre.
- Les petits
groupes de manifestants pour les droits humains á Cochabamba, dont ces jeunes
filles qui revendiquent leur droit à vivre leur homosexualité.
- Des infos pour
la plupart livrées sans aucune analyse dans les journaux nationaux, sachant que
les médias appartiennent aux grands propriétaires de la région est du pays,
Santa Cruz.
- Le conflit avec
les communautés indigènes de la région amazonienne : la percée de
l'autoroute transamazonienne Brésil – Bolivie, la Tipnis. Au mépris même
de la Constitution et des engagements de l'État en matière de préservation des
écosystèmes et des territoires indigènes, une autoroute qui détruirait un parc
national et plusieurs communautés indiennes.
- Les avis et
opinions toujours très tranchés (c'est le cas de le dire !) parmi lesquels
celui de ce guide de la mine de Potosi qui fait le geste de trancher la gorge
de Morales. Et puis d'autres encore qui nous disent que le gouvernement, ses
déclarations, ses nouvelles lois, "tout ça c'est du blablabla" -
"La nouvelle Constitution ? Oui, elle est belle, mais dans les faits, nada
de nada !". Et cependant elle fait référence et force de loi...
"Morales ? Il divise le pays, c'est un populiste, un despote".
Il demeure une
grande opposition villes / campagnes, campagnes qui se dépeuplent et
alimentent l'immigration, surtout dans les périphéries des villes.
- Il nous est
difficile de saisir la sociologie générale du pays mais il existe, selon
l'association pour les droits humains et le témoignage d'une jeune française
volontaire dans une ONG et vivant dans une famille bourgeoise de La Paz, un
racisme très important envers les indigènes et les pauvres (qui sont souvent
les mêmes). Nous est dit aussi le manque de formation á l'esprit critique, á
une conscience politique qui ne s'arrête pas aux jugements catégoriques et
comme définitifs.
Notre moral, déjà
passablement atteint à Potosi, prend une formidable claque quand nous
rencontrons à La Paz le groupe du bureau de "l'Assemblée permanente des
droits humains de Bolivie", avec qui nous échangeons pendant plus de
deux heures.
Notre ébranlement se
poursuit avec une autre rencontre, celle des militants de la "Plateforme
de luttes pour la Justice et la mémoire historique, pour le peuple bolivien,
des victimes de la dictature". Ils occupent depuis huit mois, sous
tentes de fortune et jours et nuits, la
promenade face au Palais de justice.
Des militants nous
disent une fois de plus qu'il y a des lois mais qu'elles ne sont pas
appliquées, surtout pour les plus pauvres, que la Justice et ses magistrats et
personnels sont corrompus, que les toujours mêmes logiques de discrimination et
de répression s'appliquent.
Et puis, il y a ce
récit qui nous est fait par l'un des tous premiers représentant indigène au
Parlement en 1970, élu juste avant la dictature Banzer - le compañero
Constantino Lima Chavez. Récit de tortures épouvantables, monstrueuses, attestées
par plusieurs témoins et pourtant non reconnues par l'actuel gouvernement qui
refuse d'étudier ce dossier et avec lui nombre d'autres (plus de 6 000
demandes).
Un pays
profondément divisé, avec toute la région andine pauvre (3/4 du pays) et l’est
riche.
Une division
qui précède l'arrivée de Morales au pouvoir.
En effet, la
région très riche de Santa Cruz, á l'est du pays, fournissait la majorité
politique et les Présidents, le tout largement dictatorial. Elle possède dans
son sous-sol les fameuses réserves de gaz, elle recouvrait avant la réforme
agraire des latifundias immenses (jusqu'á 100 000 hectares), ramenées
aujourd'hui et avec dédommagement par l'Etat á moins de 10 000 voire 5 000
hectares.
A l'opposé, les
régions andines de populations et communautés et nations indigènes vivaient
dans la plus grande pauvreté, connaissaient un mépris déclaré de la part
"des peaux blanches et pas trop foncées".
La région de l'est
demande depuis plusieurs années sa totale indépendance : elle ne veut plus
payer pour le reste du pays et garder pour elle seule les richesses de son sol
et de son sous-sol. L'autonomie politique et pluriculturelle régionale, comme
celle des villes et départements, inscrite dans la nouvelle Constitution, fait
que les gouverneurs de régions, les maires des villes et villages, peuvent plus
ou moins relayer et impulser la politique gouvernementale, voir la pervertir ou
la combattre.
Les avancées
sociales et économiques que nous avons pu observer lors de nos pérégrinations,
que ce soit d'un bus ou en marchant :
-
L'électricité est apportée dans les régions les plus reculées de l'Altiplano.
Partout de nouvelles lignes á haute tension traversent le pays, ainsi que des
gazoducs. De nouvelles routes goudronnées sont construites - l'axe Oruro / La
Paz est en passe de devenir une 4 voies -, d'anciennes routes ou pistes sont
réaménagées, un aéroport public va voir le jour á Uyuni.
- Un vaste plan
"eau potable" pour tous est en voie d’achèvement, de même pour
l'irrigation des régions de l'Altiplano et l'aide aux semences indépendantes du
marché privé (les semences transgéniques sont interdites).
- Les enfants sont
scolarisés, des actions très concrètes, ludiques et éducatives, se font avec
eux sur les questions de l'hygiène, de l'eau, de la préservation de
l'environnement et particulièrement des cours d'eau dans leur grande majorité
très pollués. Les enseignants montrent une implication exemplaire.
- Les jeunes
militaires, appelés comme professionnels, ainsi que la police reçoivent une
véritable formation aux droits de l'Homme.
- Les femmes sont
invitées á participer á la vie publique, á ne plus accepter les violences qui
leurs sont faites, á choisir leurs enfantements. Mais c'est encore ici que les
pressions et difficultés sont les plus grandes.
Il semble que
la démocratie conquise par les urnes et la représentation déçoivent.
Au gouvernement
actuel les anciens ultra-libéraux et les riches possédants de Santa Cruz sont
présents. Les catégories sectorielles luttent souvent pour leur seule cause et
seul pouvoir (voir á ce sujet l'article 2 sur les mines et les coopératives de
mineurs) ; il manque á l'évidence une opposition réellement critique et
constructive, ainsi par exemple cette ancienne loi encore il y a peu en vigueur
(elle a été enfin abrogée il y a seulement quelques jours) et datant des
dictatures; elle permettait de faire passer en Justice et de condamner celles
et ceux qui exprimaient critiques et oppositions.
Evo Moralés est
taxé de populisme. Outre que le populisme représente en Amérique
du sud un caractère particulier d'adresse directe aux masses populaires et une
forme de redistribution de richesses, il
a aussi une tradition historique qu’on doit se garder de trop vite assimiler à
celle communément connue et nommée en Europe.
Avec tous ces contrastes, quels seraient
les principaux enjeux
à l’œuvre dans les mouvements
sociaux ?
Un article sur
internet peut nous aider à mieux comprendre : "Brève histoire
contemporaine des mouvements sociaux en Amérique latine, mémoire des
luttes". - www.medelu.org/Breve-histoire-contemporaine, paru le jeudi 2 aout 2012. Son
auteur : Christophe Ventura, diplômé de l’Ecole des Hautes études en
sciences sociales (EHESS). Il est aussi gérant d’une entreprise coopérative
(Société coopérative de production) dans le secteur de la coopération
internationale, du conseil et de la communication institutionnelle.
Synthèse et
conclusions de l’article :
Après les
dictatures et luttes pour la démocratie (*), les années 80 et 90 ont vu la mise
en place de gouvernements progressistes, issus des luttes populaires. Mais
cette nouvelle gouvernance ne s'accompagne pas d'une remis en cause de
l'économie de marché et du capitalisme, seulement du refus de la pression des
USA qui veulent créer un grand marché Nord/Sud Amériques avec 400 millions de
consommateurs. Ce plan connait un échec sous Georges Busch.
(*)
pour mémoire : assassinat du Che en Bolivie en 1967, plan Condor instaurant la
torture et l'assassinat politique sous les dictatures militaires et avec le
soutien actif de la CIA débutant en 1964 au Brésil et s'achevant au Chili en
1990 avec la démission de Pinochet).
De 1980 á 1990,
"l'Amérique du sud a été le
laboratoire du néo-libéralisme mondial. Cela a entrainé une montée et une
radicalisation des résistances sociales puis des mouvements sociaux, organisés
et revendicatifs, avec une convergence dans tout le continent". Evo
Morales est issu de ces mouvements.
De 2005 á
aujourd'hui, "les mouvements sociaux
ont gardé leur capacité de mobilisation sociale et politique avec l'arrivée de
gouvernements amis" (très
généralement socialistes) qui, on le voit en Bolivie, "sont au cœur de
vifs conflits".
"La problématique actuelle dans les divers pays
est la suivante : comment construire un intérêt général sur la base de
revendications de secteurs divers qui constituent la base électorale des
pouvoirs nouvellement en place ? Tel est l'un des défis imposés aux
gouvernements latino-américains dans la nouvelle période. Comment relayer les
mouvements sociaux et leurs revendications politiques, économiques, sociales
dans la société et les institutions ? Comment, dans le même temps, leur assurer
l'existence d'espaces avancés dans la prise de décision collective tout en garantissant
leur autonomie ? Cette nouvelle problématique agite l'ensemble des processus de
transformation politique et sociale en Amérique latine, alors qu'une crise
systémique traverse l'économie capitaliste mondiale."
Cette analyse fait
écho á plusieurs points de vue que nous avons rencontrés, tels :
- le syndicat des
travailleurs mineurs qui s'estime en but au pouvoir de pression des
coopératives;
- l'association
pour les droits humains : « le gouvernement met la main sur toute
l'organisation sociale et ne tolère pas les critiques. Il y a une section
gouvernementale des droits de l'Homme qui se dit seule habilitée pour parler au
nom des droits humains et ne reconnait pas notre existence. Seules
l'indépendance vis á vis de tout gouvernement et la complète autonomie peuvent
être les garants pour un contre-pouvoir et une action critique. »
Et
les droits humains ?
Nous préférons
laisser ici la parole à plusieurs personnes et associations rencontrées.
Le travail des enfants
-
Arielle, Française, étudiante en école supérieure de commerce. Elle s'oriente
dans la finance internationale au service des ONG et commerce durable. C'est son second séjour de deux mois à Potosi.
Dans le cadre d'une ONG, elle travaille avec les enfants et ados mineurs : aide
scolaire, action culturelle. Cette action la passionne.
Combien d'enfants travaillent dans la mine ? Elle
dit ne pas en connaître le nombre mais il y en a beaucoup. Les conditions de
travail sont très dures, ils descendent dans la mine le matin pour 4 heures de
travail et viennent à l'école l'après-midi ou inversement. "Ils sont
joyeux et avides d'apprendre, ils veulent devenir médecins, ingénieurs, ce
n'est pas de l'ordre d'un rêve mais d'un espoir".
La situation des femmes, la santé, le travail, les
inégalités sociales
-
Andrea, elle est Bolivienne et étudiante en seconde année de médecine à
Sucre. Elle donne des cours de français pour enfants à l'Alliance française.
Veut se spécialiser en gynécologie.
« Les
personnes fortunées de Potosi n'investissent pas leur argent dans leur ville
mais à Sucre. Elles achètent à Sucre, y bâtissent des immeubles de
rapport qui défigurent la ville.
La
mentalité bolivienne est très fermée, surtout dans les campagnes où l'emprise
de l'église catholique est toujours très forte. Les hommes ne vont pas chez le
médecin et encore moins les femmes. La contraception comme l'avortement sont
encore très loin d'être possibles. Les filles sont enceintes très jeunes, à
partir de 14 ans. Les mentalités en ville sont plus ouvertes.
Le
machisme est un frein à l'évolution. Beaucoup de femmes mais aussi d'enfants
battus. Porter plainte est inenvisageable pour la très grande majorité d'entre
elles.
Des
médecins de l'hôpital cherchent à lier médecine traditionnelle (naturelle) et médecine
moderne. Les étudiants en médecine, dans leur cursus, vont travailler dans les
quartiers pauvres pour comprendre ce qui freine et apporter de l'information. »
-
L’Assemblée permanente des droits
humains (APDH) de Bolivie,
section de La Paz.
Amparo
Carvajal, président - Véronica Sanchez, vice-présidente - Carlos Tapia,
secrétaire général - Siceth Limachi, secrétaire - Neftali Mamani, militant.
L'Assemblée
est constituée en association (tout comme celle que nous connaissons sous la
loi 1901) et compte trente membres actifs pour la ville de La Paz. Elle est
directement rattachée à l'Assemblée permanente nationale qui a aussi ses locaux
à La Paz. Nous avions tenté de rencontrer la section d'Oruro sur les conseils
du directeur des cours "droits internationaux" de la faculté de
droits d'Oruro, malheureusement nous nous y étions pris trop tard.
Synthèse
des propos recueillis le 25 octobre 2012
au cours d'un entretien qui a duré plus de deux heures
Notre pays est
profondément machiste, raciste, discriminant (ndlr : ce
jugement nous a été mainte fois exprimé). Il règne une forme d'hypocrisie
sociale très "rentrée" et une profonde division entre les villes et
les campagnes.
Les femmes dans les
campagnes sont très déconsidérées, elles sont au
service du mari, du père, des enfants. Les filles sont retirées tôt de l'école,
elles ne peuvent pas accéder au secondaire. Il y a une forte pression pour
envoyer les filles travailler en ville, ce sont les femmes qui émigrent et
elles ne trouvent que des emplois totalement précaires, souvent sans même un contrat. Quand les fillettes ont 8
ans, la famille les habille joliment pour les fêtes, on les montre afin
qu'ensuite, devenues un peu plus grandes, on les emmène en ville.
Il y a des
violences physiques et psychologiques, des viols sur les
enfants et plus particulièrement les petites filles.
La Justice
Communautaire, reconnue par la nouvelle
Constitution, qui peut s'appliquer dans une communauté villageoise et en
parallèle avec la Justice traditionnelle, pose des problèmes : quand il y a
conflit entre deux personnes ou deux groupes de personnes, il est posé devant
les responsables élus de la communauté afin de trouver un règlement qui
satisfasse... l'ensemble. En cas de
viol, il faut donc préserver la cohérence communautaire et les victimes ne sont
pas vraiment prises en compte, d'autant plus qu'il s'agit souvent de cas
d'inceste.
Le droit au travail
et à la santé ?
Avec des contrats de quelques mois ? L'allocation chômage n'existe pas, la
Sécurité sociale est une vue de l'esprit et pourtant elles sont inscrites dans
la Constitution. De même pour la médecine gratuite : un étudiant qui veut se
faire soigner ne trouve pas de lieu pour les soins.
Il
y a une légende du gouvernement "révolutionnaire et démocratique"
bolivien. En fait, ce sont toujours les mêmes qui ont le pouvoir politique et
économique, ceux de Santa Cruz.
Le
respect et l’application des lois promulguées
« - Nous sommes en conflit avec
le gouvernement actuel, nous
disent les militants de l’APDH, car il y a des lois, une bonne Constitution
mais comment les faire appliquer auprès de populations démunies et très pauvres
? Les mêmes problèmes de répression et les mêmes logiques de pouvoir sont
toujours à l'oeuvre.
Dans la police
ça bouge, dans l'armée un peu aussi, ils ont des formations aux droits de
l'Homme.
Tout le monde a
maintenant les mêmes droits mais il y a ceux qui peuvent en profiter
(instruction, argent) et ceux qui ne peuvent pas. L'ensemble de l'appareil
judiciaire est au main de ceux d'avant et la corruption y est très importante.
La nouvelle Constitution est le résultat d'une très longue lutte du peuple, on
en a du papier mais l'application est très difficile.
Le gouvernement
met la main sur toute l'organisation sociale. La défense des droits de l'Homme,
par exemple, c'est lui ; notre organisation n'a jamais été reçue, c'est comme
si nous n'existions pas. Il est encore dangereux d'exprimer des critiques, la
loi interdisant et réprimant la critique politique et datant des dictatures
vient tout juste d'être abrogée pas plus tard qu'il y a trois jours.
Il y a des
incohérences entre ce qui est dit ou promulgué et ce qui est fait. Exemple, la
route qui doit relier la Bolivie et le Brésil, "le Tipnis". La loi
dit : "préservation des territoires indigènes, des réserves et des parcs
naturels". Les indigènes du territoire naturel menacé ont dit non au
projet tel qu'íl était engagé, ils ont été violemment réprimés, il y a eu des
morts. Une mobilisation massive d'organisations sur tout le pays s'en est
suivi, les indiens ont fait une marche jusqu'à La Paz, le gouvernement a
semble-t-il renoncé mais la route est déjà construite et le chantier s'arrête
très exactement de chaque côté de la réserve au lieu d'engager un
contournement... Contourner c'était allonger le temps des travaux et coûter
plus cher. Après un an de silence relatif voici que la question se pose à
nouveau. »
Les violences politiques, les droits des victimes
-
La Plateforme de luttes sociales contre
l'impunité, pour la Justice et la mémoire historique du peuple bolivien et
victimes de violences politiques. Cette organisation fédère plusieurs
organisations, associations et syndicats autour d'un même projet : la
reconnaissance des victimes de la violence politique sous la dictature Banzer.
Son siège est à La Paz.
Depuis huit mois, faute d'avoir pu être reçue par le
Ministre de la Justice, elle occupe jour et nuit le trottoir qui fait face au
Ministère avec tentes d'hébergement, grande tente de réunions et panneaux
d'information.
Le 25 octobre puis le 26 nous rencontrons des
militants, le président Julio Llanos Rojas et Victoria Lopez la secrétaire
générale.
« La
mission de l'organisation est de faire reconnaître la vérité d'une époque de
terrorisme d'Etat en Bolivie, de donner conscience á la société de la nécessité
de lutter contre l'impunité, d'engager un processus de justice contre les
responsables de crimes commis et de réparation aux victimes.
Sous les
régimes fascistes d'abord du général Bazento puis d'Hugo Banzer,tous les droits
de l'Homme sont violés. Elimination de toute opposition, viols, tortures,
liquidations avec, pour grand conseiller Klaus Barie et pour milices des bandes
d'extermination venues du Chili, du Paraguay, d'Argentine.
35 000
prisonniers politiques
16 000 exilés
12 à 13 000
morts et disparus
pour un pays
qui ne comptait alors pas plus de 4.7 millions d'habitants.
En 2004, la
Bolivie adhère à la Convention internationale des droits de l'Homme et édicte
une loi pour la reconnaissance des victimes des violences politiques.
Aujourd'hui, cette loi n'est toujours pas appliquée. Le gouvernement reconnait
et condamne les périodes de dictature mais ne reconnait pas de droits aux
victimes, ou du moins en a reconnu 1 714 alors qu'il reste 6000 survivants.
Pourquoi ?
La Justice et
d'autres instances politiques et religieuses bloquent tout processus de
reconnaissance, exactement comme en Espagne pour les crimes commis par la
dictature franquiste. »
-
Le 26 octobre, nous rencontrons Constantino Lima
Chavez.
Il fut l'un des tous premiers parlementaires indigènes avant la
dictature Banzer. Son témoignage, attesté par de nombreux compagnons de
détention et de lutte, est bouleversant. Il nous fait le récit des pressions,
tortures et tentatives de liquidation qu'il a subit mais qu'ont aussi subit les
membres de sa famille.
De 1972 à 1973 il est torturé, son père est assassiné ainsi que trois
de ses fils et son épouse.
Il parvient à s'expatrier au Canada. En 1977 est décrété l'amnistie
générale, il retourne en 1978 dans son pays mais doit fuir quelques mois après
au Pérou sous les menaces de groupes d'extrêmes droites. Il ne reviendra qu'en
1981.
Il n'est pas reconnu comme victime de violences politiques.
Ce monsieur raconte son histoire sans exprimer la moindre émotion de
haine. Il rit même assez souvent, comme pour atténuer la violence de son récit.
Nous n'en donnons ici qu'un court résumé, pour l'assister dans son témoignage
il faudrait entrer dans un processus de restitution dans lequel nous ne pouvons
pas nous engager ; une association allemande semble vouloir le faire.
photos prises à Oruro lors de la grande manif des petits commerçants et artisans...
il convient de rendre justice aux forces de police présentes (une quinzaine de policiers pour des milliers de manifestants) : ils étaient plutôt débonnaires et souriants... Ce qui nous semble ètre l'une des caractéristiques majeures des policiers de Bolivie.
photos prises à La Paz...
disculpe, celle-ci fut prise à Oruro...
sur le trottoir opposé à celui occupé depuis 5 mois par les tentes des organisations de la Plateforme sociale et la Commission des victimes de la violence politique, la facaçade du ministère de la Justice arbore elle aussi une banderolle...
ci-dessous la peinture murale en grandes dimensions sur le mur et près de la porte d'entrée du Commissariat central de La Paz...
et enfin, deux oeuvres parmis celles exposées au très beau et intéressant musée des arts contemporains de La Paz. C'est un musée privé, il fait aussi galerie pour des expos temporaires. La collection permanente est donc celle d'un amateur d'art, aux goûts pour les moins éclectiques mais sûrs, ce qui en fait son grand intérêt.
Un portrait du Che qui, ici au nord de la Bolivie, est une légende que l'on rencontre, sous forme de peintures murales, statues, logos, références, à tout coin de rue. Un nouveau parti semble avoir pris son nom - Che - et se présente à des élections municipales et régionales.
Et celui-ci de Fidel Castro. Nous l'avons trouvé étrangement beau : une représentation d'une vision, d'un combat, d'une perte, d'une tragédie tout à la fois. Comme un souffle coupé.