mardi 30 octobre 2012

LA PAZ...la paz, vraiment ? et Tiwanaku


Italo Calvino, au secours, comment écrire sur une telle ville ?!
Barrios Los Anges
              Vino tinto
              Villa de la Cruz
              La Portada
              Miraflores
              Forno
              Kupini
              Obrajes
              Ventilla
              23 de Murzo
              Calacoto
              Cota Cota
              Pacasar
              Ballivian
              Chalapampa
              Sopokachi
              et d'autre et d'autres et d'autres et d'autres encore à l'état d'embryons mais bientôt tout aussi emplis de multitude humaine que tous les autres...

pentes en dégringolades vertigineuses, falaises et cheminées de fées se confondant dans le chaos de maisons de brique rouge, d'escaliers échelles, de rues et ruelles toboggans
dévaller, gravir, souffle court coupé tous les dix pas, respiration qui se cherche
si l'on regarde la carte complète de la ville
mais à peine est-elle fixée sur le mur que déjà elle a bougé
on voit un guerrier Inca chevauchant un dragon ailé et tous deux furieux

et ce guerrier dragon a pour sang ces milliers d'êtres qui courent sautent dans un mini circulent et circulent encore et encore et toujours flux de regards de pensées de corps de vêtements royaux d'indiennes portant chapeau melon crânement posé sur deux nattes brunes d'hommes cravatés et responsables de petites indiennes  assignées aux tâches sous-subalternes de collégiens draguées dragueurs pétants d'énergie d'enfants rieurs blagueurs très sérieux d'apprendre de devenir

et les bagnoles les minis les taxis les micros bus les bus les cars les camions et que ça pète et hurle et empeste et fonce aïe aïe aïe les dingues ! priorité à droite ? NADA ! respect des feux de signalisation ? NADA ! minimum de minimum d'attention aux piétons ? NADA DE NADA !
miraculeux : ça schbing braoum pon pon brammm rrrrrrrgraong grgrgrgrgrgrpfrr hinnnnnnnnn
sans presque pas d'écorniflure broyamissure mortifure... l'automobiliste, ici, est un as de la voltige au sol.

au sud, les belles avenues belles maisons, beaux magasins, beaux buildings on est à 3000 m d'altitude...
au centre, ça affaire à tour de bras tant dans les vieux immeubles que dans la rue sur les trottoirs, quartiers historiques, palais présidentiel, cathédrale, boutiques d'artisanat, on est un peu plus haut... encore un peu plus haut... toujours plus haut... ça s'arrête pas... encore un ultime coup de rein de moteur enveloppé d'un nuage noir et suffocant...
et nous voici á Lo Alto, 4000 m d'altitude, c'est toujours La Paz mais en encore plus grouillant plus suffocant qui s'étend s'étend parce que maintenant c'est tout plat plat plat jusqu'aux montagnes là-bas
et ça n'a pas fini de s'étendre because c'est là que vient s'engloutir l'immigration paysanne et indienne de toute la Bolivie et de plus loin encore
aujourd'hui les Boliviens sont un peu plus de dix millions sur plus d'un million de km carrés
on estime qu'en 2050 ils seront quinze millions
après tout il y a de la place
combien sont-ils à La Paz ? ...

notre résidence : Adventure Brew Hostel, Avenida Montes 693, pile poil dans le carrefour le plus dense et le plus pollué de la ville. Cancer du poumon assuré en trois jours. A part ça, le lieu - sorte de grande auberge de jeunesse calme et nickel - dispose de chambres bien aménagées, douches chaude 24h/24, petit dej copieux et personnel jeune et sympa. Prix journalier, petit dej compris : 140 bolivianos (20 euros). Seul petit pépin (outre le carrefour) : clientèle certe jeune mais presque exclusivement USA et pays anglo-saxons, ne parlant pas un mot d'espagnol et refusant de dire bonjour, quand l'humeur est particulièrement ouverte, autrement qu'en anglais, rarement plus...

Le Musée national d'art : non seulement le lieu lui-même, un palais du XVIIe, vaut très largement qu'on y entre mais la richesse des oeuvres pésentées, du XVIe à aujourd´hui, est exceptionnelle. Nous avons eu la chance de pouvoir entrer dans l'espace réservé aux expositions temporaires, des oeuvres sérigraphiques et gravures 2012 y étaient présentées, l'inauguration ne devait avoir lieu que le jeudi 8 immédiatement après notre départ pour le Pérou. Merci au policier qui a accepté de nous accompagner pour une visite en solitaires. La qualité des formes et des sujets était remarquable; c'est fou ce que les graphistes boliviens mais aussi chiliens, péruviens et argentins sont d'une grande liberté expressive en même temps que d'une grande maîtrise dans leurs techniques. 



Arrivée le lundi 22 octobre à La Paz dans l'après-midi d'Oruro

                                              départ le jeudi 8 novembre au matin pour le Pérou

Deux semaines dans ce fourneau dragon inca ?! Ben oui... c'est fou ce qu'il y a à voir, à entendre et à assimiler... c'est aussi là que ce sont faites les rencontres avec des associations et que nous nous sommes plongés dans les premiers articles "Bolivie 2012, réflexions en voyage".












TIWANAKU site archéologique

Situé à 70 km au nord de La Paz, plus très loin du lac de Titicaca, Tiwanaku est un grand centre cérémoniel édifié il y a plus de 1000 ans par un peuple disparu aux alentours de 1200 de notre ère.
L'influence de cette société, très religieuse et apparemment sans guerriers, fut pourtant importante puisque sa "disparition" fut de fait une influence sur tout l'empire Inca.
Ce qui est ici célébré, c'est le soleil.
Soleil il y avait lorsque nous l'avons visité
mais surtout le ciel, toute l'architecture semble tournée vers lui
des portes, portes ouvertes sur l'ouest
portes de pierre fermées sur l'invisible
grandes colonnes antropomorphes aux visages humains, mains droites posées sur le plexus, mains gauches sur le sternum
et ces visages humains sortant des murs témoins d'ici et de l'ailleurs.
Il faut une journée pour bénéficier de cette visite.












dimanche 28 octobre 2012

BOLIVIE article 1 – démocratie et droits de l’Homme aujourd’hui

-       
             Dans cet article, vous allez trouver :

       - Un très bref rappel de l’histoire récente
-            -   Des données démographiques et des indices économiques, de démocratie et de corruption
-           -  Pourquoi et comment nous sommes-nous autant intéressés à la situation politique et socio-économique en  Bolivie ?
-           - Avec tous ces contrastes, quels seraient les principaux enjeux à l’œuvre dans les mouvements sociaux ?
-           -   Et les droits humains ?


Un très bref rappel historique des années passées récentes

 1952 – Le Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR), dirigé par Victor Estensorro, gagne les élections après des années de guerre et de désordres. Le pays est dans une très grande pauvreté. Le suffrage universel est instauré, la redistribution des terres aux petits paysans s’organise ainsi que l’éducation des populations rurales, les plus grandes compagnies minières sont nationalisées. Toutes ces réformes se font sans grands moyens économiques et dans un désordre politique, savamment orchestré par les USA, constant.
1964 – Une junte militaire renverse le Estensorro alors qu’il commence à peine son troisième mandat. Suit une succession de gouvernements faibles.
1971 à 1978 – Appuyé par les militaires et le MNR, Hugo Banzer est placé au pouvoir avec l’aide et l’appui des USA (plan Condor). Les terres sont redonnées aux grands propriétaires, les mines reprivatisées, les opposants politiques et les leaders syndicaux et indigènes assassinés, le fascisme est au pouvoir. C’est l’une des dictatures les plus noires de la seconde moitié du XXe S. Pour mémoire : Klaus Barbie est son conseiller spécial pour la police.
1978 à 1993 – Sous la pression sociale et politique, mais aussi sous celle d’un coup d’Etat, Banzer doit se retirer.Nombreuses élections, nombreuses chutes de gouvernements, trafics de drogue, corruption galopante, hyper-inflation, très importante crise économique et sociale,…
1993 à 1997 – Le MNR revient au pouvoir après avoir remporté les élections. Réformes économiques et sociales par un gouvernement constitué d’entrepreneurs transformés en politiques. Vaste programme de privatisations qui s’accompagne de mouvements sociaux à La Paz et dans la région du Chapare (Cochabamba, au centre nord du pays, à la jonction des Andes et de l’Amazonie)
1997 à 2001 – Hugo Banzer est réélu président. Les privatisations s’accentuent encore, dont celle de l’eau. Nouvelles révoltes populaires, nouvelles répressions, nouveaux assassinats et disparitions.
2002 à 2005 – Un liberal, Sancho de Lazada est élu, face à un autre candidat : Evo Morales. Elections en grande partie gagnées grâce aux menaces des USA : arrêt des aides économiques et fermeture des marchés. Récession économique, grèves importantes dont celle de la police. Guerre civile, dite « du gaz », répressions et assassinats comme toujours, jusqu’à ce que les soulèvements populaires obligent le successeur direct et désigné de Lazada, au pouvoir depuis 2003, perde les élections le 18 décembre 2005 face à Evo Morales
22 janvier 2006 – Evo Morales devient le premier président d’origine Aymara en Bolivie. Pour en savoir plus sur les Aymaras, consulter www.aymara.org.,  à ne pas confondre avec les Quechuas qui sont plus largement au sud du Pérou (voir : http://alhim.revues.org/98 ).
…suite de l’histoire toute récente dans cet article et dans ceux qui vont suivre, sur les mines, sur la réforme agraire.


Quelques données démographiques et indices économiques,  de démocratie et de corruption
prélevés dans "Perspective monde", Université de Sherbrooke, et France Diplomatie

Population totale :  4,7 millions en 1975 - 9,9 millions en 2010 -  15 millions prévus en 2015
pour un territoire de près de 1 100 000 km2
Près de 70% de la population vit sur l'Altiplano et se concentre principalement dans les régions de La Paz, du lac Titicaca et d'Oruro.
60% est d'origine indigène (principalement Aymara et Quechua) quand bien même le dernier recensement (2012) n’en chiffre que 46% parce qu’il est plutôt « mal vu » de se déclarer « indigène ».
40% d'origine européenne, Espagnols, juifs ayant fui le régime nazzi, réfugiés d'Europe de l'est, petites minorités moyen-orientales et asiatiques, et 1% de descendants d'esclaves africains.
95 % se disent catholiques.
Espérance de vie  :                             52 ans en 1980 -  64 ans en 2005 – 66,5 en 2012
Mortalité infantile 2012 :                    49%
Taux alphabétisation 2012 :               86,7%
PIB en dollars US :                             8 198 millions en 2000 - 19 650 millions en 2010
Taux de croissance (2011) :               5,2 %
Dette publique(2010) :                                   3,2 Mds USD, soit 17% du PIB.

Indice de corruption (de 1 à 10 - 0 représente  le degré de corruption le plus important)
             Bolivie                                               2.70 en 2006  -  2.99 en 2009
Colombie                                            3.76 en 2004  -  4.14 en 2009
            Pérou                                                  4.50 en 1998  -  3.45 en 2004  -  2.90 en 2009
            Chili                                                   7.50 en 2002  -  7.15 en 2009
            
Exportations françaises vers la Bolivie(2010) : 22,5 M/EUR, notre 154ème client
Importations de Bolivie vers la France (2010) : 65,3 M/EUR, notre 106ème fournisseur



Pourquoi et comment nous sommes-nous autant intéressés à la situation politique et socio-économique en Bolivie ?



Avant de venir en Amérique du sud nous avions lu le discours d'investiture d'Evo Morales, nous connaissions l'existence de la nouvelle Constitution, de la réforme agraire en cours, écouté, lu et visionné des témoignages, articles, documentaires. Nous partagions, avec bien d'autres, un relatif enthousiasme  pour ce pays qui portait un Président d'origine indigène à une seconde mandature. Par ailleurs, en tant que militants de la Ligue des droits de l'Homme, nous souhaitions nous rendre compte des progrès des droits humains dans ce pays, peut-être même d'une utopie révolutionnaire en marche.

Après cinq semaines de voyage dans le pays, les situations que nous avons rencontrées sont contrastées, les échanges avec des individus pour certains membres d’associations ou de syndicats mettent en lumière des réalités complexes, des opinions et prises de position contradictoires, parfois même violentes. 

La pauvreté
Uyuni,  première ville rencontrée après la traversée du Salar et du sud Lipez, fut rude : des alentours de ville transformés en décharge et cimetières de ferrailles, la pauvreté visible et présente dans toute la ville sauf au tout petit centre. La rudesse, nous avons continué de la ressentir sur l'Altiplano sec et dénudé et ce d'autant plus que nous sommes encore en saison sèche et que le manque d’eau se fait sentir.
La pauvreté, parfois extrême, nous la croisons dans les villages, nous la voyons sur les maisons de pisé qui se délabrent, dans les déformations physiques et la grande fatigue évidente de nombre de personnes. Nous l'observons dans les périphéries des villes, là où elle est le plus présente en milieu urbain, mais aussi dans les centres villes où les femmes âgées, cassées, sans aucune ressource, n’ont d’autre alternative que la mendicité.
Néanmoins, ce n'est pas la grande misère de certaines régions du continent africain, la sous-alimentation semble vaincue par exemple.

Les mines, les conditions de vie et de travail
Seconde ville, second choc : Potosi et la mine du Cerro, exploitée en tourisme pour voyeurs de misère et mangeurs de sensations fortes. Et aussi les mouvements sociaux que nous croisons régulièrement, avec défilés massifs, colorés, ordonnés, revendicatifs et opposés : les coopératives et les mineurs mutualistes, les ouvriers mineurs salariés des mutuelles ou des petits patrons. Deux organisations qui bloquent successivement  les villes et se confrontent (voir Bolivie 2012, réflexions - article 2 MINES).

Mais aussi :
- L'énorme manifestation des petits commerçants qui, á Oruro, demandent une égalité devant la loi et la démission de l'Alcade.
- Le défilé de lycéens, étudiants et jeunes appelés militaires en uniforme pour l'écologie et la préservation de la terre, á Sucre. 
- Les petits groupes de manifestants pour les droits humains á Cochabamba, dont ces jeunes filles qui revendiquent leur droit à vivre leur homosexualité.
- Des infos pour la plupart livrées sans aucune analyse dans les journaux nationaux, sachant que les médias appartiennent aux grands propriétaires de la région est du pays, Santa Cruz.
- Le conflit avec les communautés indigènes de la région amazonienne : la percée de l'autoroute transamazonienne Brésil – Bolivie, la Tipnis. Au mépris même de la Constitution et des engagements de l'État en matière de préservation des écosystèmes et des territoires indigènes, une autoroute qui détruirait un parc national et plusieurs communautés indiennes.
- Les avis et opinions toujours très tranchés (c'est le cas de le dire !) parmi lesquels celui de ce guide de la mine de Potosi qui fait le geste de trancher la gorge de Morales. Et puis d'autres encore qui nous disent que le gouvernement, ses déclarations, ses nouvelles lois, "tout ça c'est du blablabla" - "La nouvelle Constitution ? Oui, elle est belle, mais dans les faits, nada de nada !". Et cependant elle fait référence et force de loi... "Morales ? Il divise le pays, c'est un populiste, un despote".
Il demeure une grande opposition villes / campagnes, campagnes qui se dépeuplent et alimentent l'immigration, surtout dans les périphéries des villes.
- Il nous est difficile de saisir la sociologie générale du pays mais il existe, selon l'association pour les droits humains et le témoignage d'une jeune française volontaire dans une ONG et vivant dans une famille bourgeoise de La Paz, un racisme très important envers les indigènes et les pauvres (qui sont souvent les mêmes). Nous est dit aussi le manque de formation á l'esprit critique, á une conscience politique qui ne s'arrête pas aux jugements catégoriques et comme définitifs.


Notre moral, déjà passablement atteint à Potosi, prend une formidable claque quand nous rencontrons à La Paz le groupe du bureau de "l'Assemblée permanente des droits humains de Bolivie", avec qui nous échangeons pendant plus de deux heures. 
Notre ébranlement se poursuit avec une autre rencontre, celle des militants de la "Plateforme de luttes pour la Justice et la mémoire historique, pour le peuple bolivien, des victimes de la dictature". Ils occupent depuis huit mois, sous tentes de fortune et jours et nuits,  la promenade face au Palais de justice.
Des militants nous disent  une fois de plus qu'il y a des lois mais qu'elles ne sont pas appliquées, surtout pour les plus pauvres, que la Justice et ses magistrats et personnels sont corrompus, que les toujours mêmes logiques de discrimination et de répression s'appliquent.
Et puis, il y a ce récit qui nous est fait par l'un des tous premiers représentant indigène au Parlement en 1970, élu juste avant la dictature Banzer - le compañero Constantino Lima Chavez. Récit de tortures épouvantables, monstrueuses, attestées par plusieurs témoins et pourtant non reconnues par l'actuel gouvernement qui refuse d'étudier ce dossier et avec lui nombre d'autres (plus de 6 000 demandes). 

Un pays profondément divisé, avec toute la région andine pauvre (3/4 du pays) et l’est riche.
Une division qui précède l'arrivée de Morales au pouvoir.
En effet, la région très riche de Santa Cruz, á l'est du pays, fournissait la majorité politique et les Présidents, le tout largement dictatorial. Elle possède dans son sous-sol les fameuses réserves de gaz, elle recouvrait avant la réforme agraire des latifundias immenses (jusqu'á 100 000 hectares), ramenées aujourd'hui et avec dédommagement par l'Etat á moins de 10 000 voire 5 000 hectares.
A l'opposé, les régions andines de populations et communautés et nations indigènes vivaient dans la plus grande pauvreté, connaissaient un mépris déclaré de la part "des peaux blanches et pas trop foncées".
La région de l'est demande depuis plusieurs années sa totale indépendance : elle ne veut plus payer pour le reste du pays et garder pour elle seule les richesses de son sol et de son sous-sol. L'autonomie politique et pluriculturelle régionale, comme celle des villes et départements, inscrite dans la nouvelle Constitution, fait que les gouverneurs de régions, les maires des villes et villages, peuvent plus ou moins relayer et impulser la politique gouvernementale, voir la pervertir ou la combattre.

Les avancées sociales et économiques que nous avons pu observer lors de nos pérégrinations, que ce soit d'un bus ou en marchant :
-  L'électricité est apportée dans les régions les plus reculées de l'Altiplano. Partout de nouvelles lignes á haute tension traversent le pays, ainsi que des gazoducs. De nouvelles routes goudronnées sont construites - l'axe Oruro / La Paz est en passe de devenir une 4 voies -, d'anciennes routes ou pistes sont réaménagées, un aéroport public va voir le jour á Uyuni.
- Un vaste plan "eau potable" pour tous est en voie d’achèvement, de même pour l'irrigation des régions de l'Altiplano et l'aide aux semences indépendantes du marché privé (les semences transgéniques sont interdites).
- Les enfants sont scolarisés, des actions très concrètes, ludiques et éducatives, se font avec eux sur les questions de l'hygiène, de l'eau, de la préservation de l'environnement et particulièrement des cours d'eau dans leur grande majorité très pollués. Les enseignants montrent une implication exemplaire.
- Les jeunes militaires, appelés comme professionnels, ainsi que la police reçoivent une véritable formation aux droits de l'Homme.
- Les femmes sont invitées á participer á la vie publique, á ne plus accepter les violences qui leurs sont faites, á choisir leurs enfantements. Mais c'est encore ici que les pressions et difficultés sont les plus grandes.

Il semble que la démocratie conquise par les urnes et la représentation déçoivent.
Au gouvernement actuel les anciens ultra-libéraux et les riches possédants de Santa Cruz sont présents. Les catégories sectorielles luttent souvent pour leur seule cause et seul pouvoir (voir á ce sujet l'article 2 sur les mines et les coopératives de mineurs) ; il manque á l'évidence une opposition réellement critique et constructive, ainsi par exemple cette ancienne loi encore il y a peu en vigueur (elle a été enfin abrogée il y a seulement quelques jours) et datant des dictatures; elle permettait de faire passer en Justice et de condamner celles et ceux qui exprimaient critiques et oppositions.
Evo Moralés est taxé de populisme. Outre que le populisme représente en Amérique du sud un caractère particulier d'adresse directe aux masses populaires et une forme de redistribution de richesses,  il a aussi une tradition historique qu’on doit se garder de trop vite assimiler à celle communément connue et nommée en Europe.   


Avec tous ces contrastes, quels seraient les principaux enjeux 
à l’œuvre dans les mouvements sociaux ?

Un article sur internet peut nous aider à mieux comprendre : "Brève histoire contemporaine des mouvements sociaux en Amérique latine, mémoire des luttes". - www.medelu.org/Breve-histoire-contemporaine, paru le jeudi 2 aout 2012. Son auteur : Christophe Ventura, diplômé de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS). Il est aussi gérant d’une entreprise coopérative (Société coopérative de production) dans le secteur de la coopération internationale, du conseil et de la communication institutionnelle.

Synthèse et conclusions de l’article :
Après les dictatures et luttes pour la démocratie (*), les années 80 et 90 ont vu la mise en place de gouvernements progressistes, issus des luttes populaires. Mais cette nouvelle gouvernance ne s'accompagne pas d'une remis en cause de l'économie de marché et du capitalisme, seulement du refus de la pression des USA qui veulent créer un grand marché Nord/Sud Amériques avec 400 millions de consommateurs. Ce plan connait un échec sous Georges Busch.

(*) pour mémoire : assassinat du Che en Bolivie en 1967, plan Condor instaurant la torture et l'assassinat politique sous les dictatures militaires et avec le soutien actif de la CIA débutant en 1964 au Brésil et s'achevant au Chili en 1990 avec la démission de Pinochet).

De 1980 á 1990, "l'Amérique du sud a été le laboratoire du néo-libéralisme mondial. Cela a entrainé une montée et une radicalisation des résistances sociales puis des mouvements sociaux, organisés et revendicatifs, avec une convergence dans tout le continent". Evo Morales est issu de ces mouvements.

De 2005 á aujourd'hui, "les mouvements sociaux ont gardé leur capacité de mobilisation sociale et politique avec l'arrivée de gouvernements amis" (très généralement socialistes) qui, on le voit en Bolivie, "sont au cœur de vifs conflits". 

"La problématique actuelle dans les divers pays est la suivante : comment construire un intérêt général sur la base de revendications de secteurs divers qui constituent la base électorale des pouvoirs nouvellement en place ? Tel est l'un des défis imposés aux gouvernements latino-américains dans la nouvelle période. Comment relayer les mouvements sociaux et leurs revendications politiques, économiques, sociales dans la société et les institutions ? Comment, dans le même temps, leur assurer l'existence d'espaces avancés dans la prise de décision collective tout en garantissant leur autonomie ? Cette nouvelle problématique agite l'ensemble des processus de transformation politique et sociale en Amérique latine, alors qu'une crise systémique traverse l'économie capitaliste mondiale."

Cette analyse fait écho á plusieurs points de vue que nous avons rencontrés, tels : 
- le syndicat des travailleurs mineurs qui s'estime en but au pouvoir de pression des coopératives;
- l'association pour les droits humains : « le gouvernement met la main sur toute l'organisation sociale et ne tolère pas les critiques. Il y a une section gouvernementale des droits de l'Homme qui se dit seule habilitée pour parler au nom des droits humains et ne reconnait pas notre existence. Seules l'indépendance vis á vis de tout gouvernement et la complète autonomie peuvent être les garants pour un contre-pouvoir et une action critique. »



Et les droits humains ?

Nous préférons laisser ici la parole à plusieurs personnes et associations rencontrées.

Le travail des enfants
-          Arielle, Française, étudiante en école supérieure de commerce. Elle s'oriente dans la finance internationale au service des ONG et commerce durable. C'est son second séjour de deux mois à Potosi. Dans le cadre d'une ONG, elle travaille avec les enfants et ados mineurs : aide scolaire, action culturelle. Cette action la passionne.
Combien d'enfants travaillent dans la mine ? Elle dit ne pas en connaître le nombre mais il y en a beaucoup. Les conditions de travail sont très dures, ils descendent dans la mine le matin pour 4 heures de travail et viennent à l'école l'après-midi ou inversement. "Ils sont joyeux et avides d'apprendre, ils veulent devenir médecins, ingénieurs, ce n'est pas de l'ordre d'un rêve mais d'un espoir".


La situation des femmes, la santé, le travail, les inégalités sociales
-          Andrea, elle est Bolivienne et étudiante en seconde année de médecine à Sucre. Elle donne des cours de français pour enfants à l'Alliance française. Veut se spécialiser en gynécologie.
« Les personnes fortunées de Potosi n'investissent pas leur argent dans leur ville mais à Sucre. Elles achètent à Sucre, y bâtissent des immeubles de rapport qui défigurent la ville. 
La mentalité bolivienne est très fermée, surtout dans les campagnes où l'emprise de l'église catholique est toujours très forte. Les hommes ne vont pas chez le médecin et encore moins les femmes. La contraception comme l'avortement sont encore très loin d'être possibles. Les filles sont enceintes très jeunes, à partir de 14 ans.  Les mentalités en ville sont plus ouvertes.
Le machisme est un frein à l'évolution. Beaucoup de femmes mais aussi d'enfants battus. Porter plainte est inenvisageable pour la très grande majorité d'entre elles.
Des médecins de l'hôpital cherchent à lier médecine traditionnelle (naturelle) et médecine moderne. Les étudiants en médecine, dans leur cursus, vont travailler dans les quartiers pauvres pour comprendre ce qui freine et apporter de l'information. »

-          L’Assemblée permanente des droits humains (APDH) de Bolivie, section de La Paz.
Amparo Carvajal, président - Véronica Sanchez, vice-présidente - Carlos Tapia, secrétaire général - Siceth Limachi, secrétaire - Neftali Mamani, militant.
L'Assemblée est constituée en association (tout comme celle que nous connaissons sous la loi 1901) et compte trente membres actifs pour la ville de La Paz. Elle est directement rattachée à l'Assemblée permanente nationale qui a aussi ses locaux à La Paz. Nous avions tenté de rencontrer la section d'Oruro sur les conseils du directeur des cours "droits internationaux" de la faculté de droits d'Oruro, malheureusement nous nous y étions pris trop tard.
Synthèse des propos recueillis le 25 octobre 2012  au cours d'un entretien qui a duré plus de deux heures

Notre pays est profondément machiste, raciste, discriminant (ndlr : ce jugement nous a été mainte fois exprimé). Il règne une forme d'hypocrisie sociale très "rentrée" et une profonde division entre les villes et les campagnes.
Les femmes dans les campagnes sont très déconsidérées, elles sont au service du mari, du père, des enfants. Les filles sont retirées tôt de l'école, elles ne peuvent pas accéder au secondaire. Il y a une forte pression pour envoyer les filles travailler en ville, ce sont les femmes qui émigrent et elles ne trouvent que des emplois totalement précaires, souvent sans  même un contrat. Quand les fillettes ont 8 ans, la famille les habille joliment pour les fêtes, on les montre afin qu'ensuite, devenues un peu plus grandes, on les emmène en ville.
Il y a des violences physiques et psychologiques, des viols sur les enfants et plus particulièrement les petites filles. 
La Justice Communautaire, reconnue par la nouvelle Constitution, qui peut s'appliquer dans une communauté villageoise et en parallèle avec la Justice traditionnelle, pose des problèmes : quand il y a conflit entre deux personnes ou deux groupes de personnes, il est posé devant les responsables élus de la communauté afin de trouver un règlement qui satisfasse... l'ensemble.  En cas de viol, il faut donc préserver la cohérence communautaire et les victimes ne sont pas vraiment prises en compte, d'autant plus qu'il s'agit souvent de cas d'inceste.
Le droit au travail  et à la santé ? Avec des contrats de quelques mois ? L'allocation chômage n'existe pas, la Sécurité sociale est une vue de l'esprit et pourtant elles sont inscrites dans la Constitution. De même pour la médecine gratuite : un étudiant qui veut se faire soigner ne trouve pas de lieu pour les soins.
Il y a une légende du gouvernement "révolutionnaire et démocratique" bolivien. En fait, ce sont toujours les mêmes qui ont le pouvoir politique et économique, ceux de Santa Cruz.


Le respect et l’application des lois promulguées
« - Nous sommes en conflit avec le gouvernement actuel, nous disent les militants de l’APDH, car il y a des lois, une bonne Constitution mais comment les faire appliquer auprès de populations démunies et très pauvres ? Les mêmes problèmes de répression et les mêmes logiques de pouvoir sont toujours à l'oeuvre.
Dans la police ça bouge, dans l'armée un peu aussi, ils ont des formations aux droits de l'Homme. 
Tout le monde a maintenant les mêmes droits mais il y a ceux qui peuvent en profiter (instruction, argent) et ceux qui ne peuvent pas. L'ensemble de l'appareil judiciaire est au main de ceux d'avant et la corruption y est très importante. La nouvelle Constitution est le résultat d'une très longue lutte du peuple, on en a du papier mais l'application est très difficile.
Le gouvernement met la main sur toute l'organisation sociale. La défense des droits de l'Homme, par exemple, c'est lui ; notre organisation n'a jamais été reçue, c'est comme si nous n'existions pas. Il est encore dangereux d'exprimer des critiques, la loi interdisant et réprimant la critique politique et datant des dictatures vient tout juste d'être abrogée pas plus tard qu'il y a trois jours.
Il y a des incohérences entre ce qui est dit ou promulgué et ce qui est fait. Exemple, la route qui doit relier la Bolivie et le Brésil, "le Tipnis". La loi dit : "préservation des territoires indigènes, des réserves et des parcs naturels". Les indigènes du territoire naturel menacé ont dit non au projet tel qu'íl était engagé, ils ont été violemment réprimés, il y a eu des morts. Une mobilisation massive d'organisations sur tout le pays s'en est suivi, les indiens ont fait une marche jusqu'à La Paz, le gouvernement a semble-t-il renoncé mais la route est déjà construite et le chantier s'arrête très exactement de chaque côté de la réserve au lieu d'engager un contournement... Contourner c'était allonger le temps des travaux et coûter plus cher. Après un an de silence relatif voici que la question se pose à nouveau. »


Les violences politiques, les droits des victimes
-          La Plateforme de luttes sociales contre l'impunité, pour la Justice et la mémoire historique du peuple bolivien et victimes de violences politiques. Cette organisation fédère plusieurs organisations, associations et syndicats autour d'un même projet : la reconnaissance des victimes de la violence politique sous la dictature Banzer. Son siège est à La Paz.
Depuis huit  mois, faute d'avoir pu être reçue par le Ministre de la Justice, elle occupe jour et nuit le trottoir qui fait face au Ministère avec tentes d'hébergement, grande tente de réunions et panneaux d'information.
Le 25 octobre puis le 26 nous rencontrons des militants, le président Julio Llanos Rojas et Victoria Lopez la secrétaire générale.
« La mission de l'organisation est de faire reconnaître la vérité d'une époque de terrorisme d'Etat en Bolivie, de donner conscience á la société de la nécessité de lutter contre l'impunité, d'engager un processus de justice contre les responsables de crimes commis et de réparation aux victimes.
Sous les régimes fascistes d'abord du général Bazento puis d'Hugo Banzer,tous les droits de l'Homme sont violés. Elimination de toute opposition, viols, tortures, liquidations avec, pour grand conseiller Klaus Barie et pour milices des bandes d'extermination venues du Chili, du Paraguay, d'Argentine.
35 000 prisonniers politiques
16 000 exilés
12 à 13 000 morts et disparus
pour un pays qui ne comptait alors pas plus de 4.7 millions d'habitants.
En 2004, la Bolivie adhère à la Convention internationale des droits de l'Homme et édicte une loi pour la reconnaissance des victimes des violences politiques. Aujourd'hui, cette loi n'est toujours pas appliquée. Le gouvernement reconnait et condamne les périodes de dictature mais ne reconnait pas de droits aux victimes, ou du moins en a reconnu 1 714 alors qu'il reste 6000 survivants. Pourquoi ?
La Justice et d'autres instances politiques et religieuses bloquent tout processus de reconnaissance, exactement comme en Espagne pour les crimes commis par la dictature franquiste. »

-          Le 26 octobre, nous rencontrons Constantino Lima Chavez.
Il fut l'un des tous premiers parlementaires indigènes avant la dictature Banzer. Son témoignage, attesté par de nombreux compagnons de détention et de lutte, est bouleversant. Il nous fait le récit des pressions, tortures et tentatives de liquidation qu'il a subit mais qu'ont aussi subit les membres de sa famille.
De 1972 à 1973 il est torturé, son père est assassiné ainsi que trois de ses fils et son épouse.
Il parvient à s'expatrier au Canada. En 1977 est décrété l'amnistie générale, il retourne en 1978 dans son pays mais doit fuir quelques mois après au Pérou sous les menaces de groupes d'extrêmes droites. Il ne reviendra qu'en 1981.
Il n'est pas reconnu comme victime de violences politiques.
Ce monsieur raconte son histoire sans exprimer la moindre émotion de haine. Il rit même assez souvent, comme pour atténuer la violence de son récit. Nous n'en donnons ici qu'un court résumé, pour l'assister dans son témoignage il faudrait entrer dans un processus de restitution dans lequel nous ne pouvons pas nous engager ; une association allemande semble vouloir le faire.



photos prises à Oruro lors de la grande manif des petits commerçants et artisans...



 il convient de rendre justice aux forces de police présentes (une quinzaine de policiers pour des milliers de manifestants) : ils étaient plutôt débonnaires et souriants... Ce qui nous semble ètre l'une des caractéristiques majeures des policiers de Bolivie.





 photos prises à La Paz...


disculpe, celle-ci fut prise à Oruro...




sur le trottoir opposé à celui occupé depuis 5 mois par les tentes des organisations de la Plateforme sociale et la Commission des victimes de la violence politique, la facaçade du ministère de la Justice arbore elle aussi une banderolle...



 ci-dessous la peinture murale en grandes dimensions sur le mur et près de la porte d'entrée du Commissariat central de La Paz...



et enfin, deux oeuvres parmis celles exposées au très beau et intéressant musée des arts contemporains de La Paz. C'est un musée privé, il fait aussi galerie pour des expos temporaires. La collection permanente est donc celle d'un amateur d'art, aux goûts pour les moins éclectiques mais sûrs, ce qui en fait son grand intérêt.

Un portrait du Che qui, ici au nord de la Bolivie, est une légende que l'on rencontre, sous forme de peintures murales, statues, logos, références, à tout coin de rue. Un nouveau parti semble avoir pris son nom - Che - et se présente à des élections municipales et régionales.



Et celui-ci de Fidel Castro. Nous l'avons trouvé étrangement beau : une représentation d'une vision, d'un combat, d'une perte, d'une tragédie tout à la fois. Comme un souffle coupé.