Dans cet article :
-La loi du 28 novembre
2006
-Ce
qui est en jeu : la situation même de la terre et de ceux qui en vivent, sa
propriété et son usage.
-La
propriété agraire aujourd’hui en Bolivie
-Le
Mouvement des Sans Terre
-En
quoi consistent l'expropriation et la redistribution
-L'INRA,
Institut National de la Réforme Agraire : sa mission et ses rôles, ses
difficultés à les exercer...
-La
Réforme Agraire, un espace de débat pour les droits et devoirs fondamentaux
dans la nouvelle Assemblée Constituante
-Les
objectifs (en partie réalisés actuellement) pour 2015
Nous ne pouvions
écrire cet article sans :
- un entretien
avec Evo, agronome, anthropologue et hôtelier à Sucre
- la rencontre
avec le responsable de l'INRA (Institut National de la Réforme Agraire)
département d'Oruro
- plusieurs
documents édités par l'INRA
- "Tierra y
Territorio", de Jubenal Quispe Vizarrita (Licenciado en Droit, Diplomatie,
droit Constitutionnel et en Education supérieure), edit. Texto Taller
La loi du 28 novembre
2006
Il y a déjà eu
deux réformes agraires, l'une en 1953 avec la nationalisation des terres au
profit des paysans boliviens, elle fut totalement remise en cause par les
gouvernements de dictatures dans les années 1970. L'autre en octobre 1996 qui
vit un programme de regroupement et redistribution des terres au profit des
paysans et communautés indigènes. Ce programme ne put voir véritablement le
jour, contraint par des gouvernements soumis aux économies libérales et ultra
libérales ainsi qu'aux oligarchies des grands propriétaires terriens.
La loi du 28
novembre 2006 modifie la loi du 18 octobre 1996 et décrète :
article 1 - Le
sol paysan, la petite propriété, la propriété communautaire et les terres
communautaires ont une fonction sociale qui les destine à promouvoir le
bien-être familiale et le développement économique de ses propriétaires,
peuples et communautés indigènes, paysans et originaires des campagnes, en leur
accordant la capacité du meilleur usage de la terre.
article 2 - La
fonction économico-sociale en matière agraire, établie dans l'article 169 de la
Constitution Politique de l'Etat, est l'emploi soutenu de la terre dans le
développement des activités agro-alimentaires, forestières et d'autres
caractères productifs, ainsi que la protection et la conservation de la
biodiversité, la recherche et l'écotourisme, conforme à sa capacité d'usage
majeur, au bénéfice de la société, des intérêts collectifs et de son
propriétaire individuel.
Dans les articles
suivants de la loi se déclinent, entre autres, la classification de la
propriété agraire, les modalités de redistribution de la terre,
d'expropriation, de gestion des conflits.
Ce
qui est en jeu : la situation même de la terre
et de ceux qui en vivent, sa
propriété et son usage.
En Bolivie
subsistent d'immenses "latifundias" (propriétés privées, les plus
grandes étant estimées jusqu'à 200 000 hectares) improductives, situées
principalement dans la grande partie est du pays (l'Oriente, départements de
Santa Cruz, Pando, Beni et, en partie, de Chuquisaca et Tarija).
Ainsi, en 2004,
87% des terres cultivables appartenaient à 7% de grands propriétaires alors que
97% de paysans disposaient des 13% restants.
Sur ces 13 % de
terres, 70 % de la production agricole du pays était produite; sur les 87 % des
grandes propriétés, seuls 20 % étaient produits.
L'extrême pauvreté
des paysans n'est pas une légende. Dans leur très grande majorité ils sont
Quechuas.
Dans l'Oriente,
les conditions étaient et sont encore parfois celles d'esclaves entièrement
soumis au pouvoir du propriétaire, personne morale ou physique. Encore tout
dernièrement, des assassinats dans des communautés indigènes ont été relevés,
assassinats commis par des milices privées et par des policiers corrompus.
Dans l'Altiplano,
la très grande pauvreté des terres liée en grande partie aux difficultés
d'irrigation et aux méthodes trop archaïques, soumet les petits paysans aux problèmes
de malnutrition et aux maladies associées.
Aujourd'hui
encore, l'écart de niveau de vie entre un enfant pauvre et un enfant riche en
Bolicie est de 222 fois. C'est le plus haut en Amérique du sud, bien après
Haïti (170 fois) !
La
propriété agraire aujourd’hui en Bolivie
Le sol paysan, c'est le lieu de résidence du paysan et de sa
famille.
La petite propriété,
c'est le territoire de travail d'un propriétaire pour la subsistance de sa
famille.
Sol paysan et
petite propriété sont indivisibles et non commercialisables. Ils ne sont pas
soumis à l'impôt.
La moyenne propriété, elle appartient à une personne
physique ou morale. Sa finalité est la production de produits agricoles Son
extension varie entre 501 et 2 500 hectares. Sa propriété peut se transférer et
s'hypothéquer.
La grande propriété, son territoire varie entre 2
501 et 50 000 hectares. Elle a pour finalité de produire pour le marché
agricole et emploie des salariés dans le cadre d'une technologie moderne. Elle
est transférable, hypothécable et soumise à l'impôt tout comme la moyenne
propriété.
La
propriété communautaire,
dont son titulaires les communautés paysannes et celles issues des
ex-haciendas. Elle constitue la source de subsistance de ses propriétaires, ne
peut être transférée, ni vendue, ni divisée.
Le
Mouvement des Sans Terre
C'est une
organisation de familles, hommes et femmes condamnés à la misère, producteurs
de petites propriétés dans l'Altiplano et de latifundias à l'Orient.
Les sans terre ne sont pas une organisation
criminelle comme veut encore le faire croire une presse et des organisations de
droite, ils sont porteurs de l'exigence à pouvoir vivre de leur travail et sur
leur sol, du droit à la justice et à la dignité, de celui à pouvoir
donner une part de terre à leurs enfants. Ils sont les premiers à revendiquer
que s'impulsent et se réalisent les objectifs de l'INRA. Ce mouvement regroupe
actuellement plus de dix milles affiliés et se constitue en force pour que se
réalise véritablement la Réforme agraire, quitte à entrer en lutte avec les
pouvoirs gouvernementaux qui s`y opposent ou la freinent.
Il faut par
exemple savoir que la Chambre d'Agriculture de l'Orient et le Comité civique de
Santa Cruz siègent avec des pouvoirs importants à l'Assemblée constituante et
qu'ils ont créé une Contre-Réforme qui s'oppose à toute évolution et
transformation de la situation de la propriété de la terre et des paysans.
En
quoi consistent l'expropriation et la redistribution
L'Etat peut
décider de l'expropriation de terres de personnes physiques ou morales pour
utilité publique comme par exemple : la construction de chemins et voies
publiques, la protection de la biodiversité, le regroupement de terre pour
dotation à communautés indigènes et propriétés collectives (Terres
Communautaires d'Origine).
Les terres
expropriés sont celles qui ne sont pas cultivées ou/et qui excèdent les maximum
d'occupation de territoire (plus de 50 000 hectares). Une indemnisation
accompagne toujours une expropriation, elle s'évalue en fonction de la valeur
de la terre sur marché en cours.
L'INRA (Institut
National de la Réforme Agraire) est
chargée de cette fonction. Voir ses missions et rôles dans le sous chapitre
suivant.
Une fois que
l'INRA a procédé à la récupération de la terre, elle procède à sa
redistribution de deux façons :
- par
Dotation, qui consiste en une remise gratuite des terres fiscales en faveur
exclusivement des communautés paysannes et peuples originaires. Elle est
destinée uniquement aux propriétés agraires collectives.
- par
Adjudication, c'est-à-dire par la mise en vente en concours public à la valeur
de la terre sur le marché. La préférence est donnée aux petits propriétaires,
personnes originaires ou paysans du lieu concerné.
L'INRA,
Institut National de la Réforme Agraire : sa mission et ses rôles, ses
difficultés à les exercer...
L'INRA est
l'organe technico-exécutif qui a pour rôle de diriger, coordonner et exécuter
les politiques et programmes de distribution et regroupement des terres, propriétés
et communautés indigènes et paysannes. C'est elle qui, par exemple, à la
fonction de reconvertir les terres abandonnées en procédant à expropriation
mais aussi de mener les campagnes nécessaires pour que soient enfin établis les
titres de propriété jusqu'á présent en très grande partie seulement détenus par
les grands propriétaires.
En ce moment,
liées à celle des titres de propriété, l'Etat mène deux campagnes importantes :
que chaque bolivien ait une carte d'identité (beaucoup de paysans n'ont pas
même de certificat de naissance et ainsi les tombes ne portent que la date du
décès); la déclaration des titres de propriété mais aussi... des biens et
ressources ! On peut ainsi voir, devant des centres nouvellement baptisés
"ressources et biens", de très longues files d'attente. Les
déclarations doivent avoir été faites pour le 15 novembre 2012.
Les grandes
difficultés pour l'INRA :
- Parvenir à se
dégager, pour ne pas dire "se libérer", de la main mise d'une organisation
qui la précède et qui a eu tous pouvoirs sur toute l'organisation agraire
jusqu'en 2006 : la Chambre Agricole de l'Orient. Un exemple très concret : le
directeur de l'Inra dans une gestion antérieur fut l'ex gérant de la dite
Chambre...
- "Les fausses
vaches et faux troupeaux" : il
est assez facile pour un propriétaire de moyenne ou grande propriété de
déclarer des troupeaux imaginaires qui transforment des terres non exploitées
en terres d'élevage. Ça parait un peu pathétique mais non, le procédé depuis
peu identifié, a permis de passer au travers d'expropriations jusqu'à une date
récente.
- Le peu de ressources
financières dont dispose l'INRA, chargée de permettre qu'enfin le pays dispose
d'une réelle économie agricole ! Les aides et soutiens de la communauté
internationale sont essentiels.
- Les freins et
absences de volonté politique d'une partie des gouvernements régionaux et
locaux, et tout particulièrement ceux de l'Orient...
- La trop maigre
participation de l'impôt, nulle pour ce qui est des petites propriétés et
communautés, insuffisante pour ce qui est des moyennes et grandes (elles ont
réussi à négocier avec le gouvernement un montant ne pouvant excéder 0.50
centavos par hectare...).
La
Réforme Agraire, un espace de débat
pour les droits et devoirs fondamentaux
dans la nouvelle Assemblée Constituante
Les droits
- Les
peuples originaires et communautés paysannes ont droit à posséder un
territoire.
- Tout bolivien a
droit á la propriété agraire sans aucune discrimination possible.
Les devoirs
- Tous les
boliviens ont pour devoir de préserver la terre de la pollution et de la
désertification.
Les règlements (et causes de conflits majeurs
avec les grands propriétaires et gouvernements pour la Contre Réforme, mais
aussi de grandes sociétés internationales !!!)
- La propriété ne
se garantie que si la terre est productive.
- La loi seule
garantie une propriété médiane ou grande.
- Les superficies
des propriétés agraires ne peuvent excéder ce que définit la loi de la Réforme,
aucune indemnisation ne sera accordée en cas de dépassement.
- Sont causes
d'expropriation immédiate l'abandon et l'inaccomplissement de la fonction
économique et sociale de la propriété agraire.
- Est reconnue
l'autogestion territoriale des peuples indigènes et communautés paysannes.
- Est garantie et
protégée la propriété intellectuelle collective des traditions, technologies,
innovations des peuples indigènes, les bénéfices sont collectifs.
- Est garantie la
participation directe des peuples originaires et communautés paysannes dans la
manière de contrôler les forêts et toute ressources naturelles des territoires
sur lesquels elles vivent.
- Les impôts sur
les propriétés médianes et grandes se calculent sur la base de la valeur réelle
de la propriété en rapport au marché de la terre.
- Est promu le
développement soutenable et intégral. N'est pas admis la culture ni la
commercialisation d'organismes génétiquement modifiés.
- Est
institutionnalisé et décentralisé l'INRA comme organisme de contrôle social et
comme partenaire d'un comité de vigilance inter constitutionnelle avec la
présence décisive des paysans et indigènes.
- Sont
décentralisées les Universités publiques dans les provinces et régions
productives afin de former des techniciens qui ont la vocation du développement
productif de leur région.
- Les salariés
sont incorporés au système de la Loi Générale du Travail avec régime spécial.
La Réforme
Agraire devait être accomplie pour 2012. De l’aveu même de représentants de
l'INRA ce ne pouvait être qu'un vœu pieux tant la tâche est immense, les freins
importants, les moyens encore trop limités.
Les
objectifs (en partie réalisés actuellement) pour 2015
-Recensements de
toutes les terres effectués.
-Expropriations
réalisées pour 70 %.
-Meilleur gestion
des conflits entre l'INRA et les propriétaires, entre propriétaires et
communautés.
-Service en eau
potable pour tous les villages et hameaux (actuellement réalisé pour
l'électricité).
-Fourniture de
semences de qualité avec formation adéquate à toutes les petites propriétes et
communautés.
-Développement des
systèmes et techniques en matière d'irrigation et de lutte contre la
désertification.
-Education à la
préservation de la nature et aux défenses contre la pollution.
De nombreuses
campagnes d'information et de formation sont menées dans les campagnes, sur
tous les sujets qui touchent au mieux-être et au développement.
Nous avons été
témoins des jugements racistes exprimés à l'encontre des populations indigènes
et paysannes par des personnes de milieux aisés. Ce racisme et les
discriminations qu'il engendre sont aujourd'hui l'un des fléaux importants
auquel la Bolivie doit faire face.
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