samedi 10 novembre 2012

BOLIVIE article 3 – la réforme agraire


Dans cet article :



-La loi du 28 novembre 2006
-Ce qui est en jeu : la situation même de la terre et de ceux qui en vivent, sa propriété et son usage.
-La propriété agraire aujourd’hui en Bolivie
-Le Mouvement des Sans Terre
-En quoi consistent l'expropriation et la redistribution
-L'INRA, Institut National de la Réforme Agraire : sa mission et ses rôles, ses difficultés à les exercer...
-La Réforme Agraire, un espace de débat pour les droits et devoirs fondamentaux dans la nouvelle Assemblée Constituante
-Les objectifs (en partie réalisés actuellement) pour 2015

Nous ne pouvions écrire cet article sans :
- un entretien avec Evo, agronome, anthropologue et hôtelier à Sucre
- la rencontre avec le responsable de l'INRA (Institut National de la Réforme Agraire) département d'Oruro
- plusieurs documents édités par l'INRA
- "Tierra y Territorio", de Jubenal Quispe Vizarrita (Licenciado en Droit, Diplomatie, droit Constitutionnel et en Education supérieure), edit. Texto Taller

La loi du 28 novembre 2006

Il y a déjà eu deux réformes agraires, l'une en 1953 avec la nationalisation des terres au profit des paysans boliviens, elle fut totalement remise en cause par les gouvernements de dictatures dans les années 1970. L'autre en octobre 1996 qui vit un programme de regroupement et redistribution des terres au profit des paysans et communautés indigènes. Ce programme ne put voir véritablement le jour, contraint par des gouvernements soumis aux économies libérales et ultra libérales ainsi qu'aux oligarchies des grands propriétaires terriens.

La loi du 28 novembre 2006 modifie la loi du 18 octobre 1996 et décrète :
article 1 - Le sol paysan, la petite propriété, la propriété communautaire et les terres communautaires ont une fonction sociale qui les destine à promouvoir le bien-être familiale et le développement économique de ses propriétaires, peuples et communautés indigènes, paysans et originaires des campagnes, en leur accordant la capacité du meilleur usage de la terre.
article 2 - La fonction économico-sociale en matière agraire, établie dans l'article 169 de la Constitution Politique de l'Etat, est l'emploi soutenu de la terre dans le développement des activités agro-alimentaires, forestières et d'autres caractères productifs, ainsi que la protection et la conservation de la biodiversité, la recherche et l'écotourisme, conforme à sa capacité d'usage majeur, au bénéfice de la société, des intérêts collectifs et de son propriétaire individuel.  

Dans les articles suivants de la loi se déclinent, entre autres, la classification de la propriété agraire, les modalités de redistribution de la terre, d'expropriation, de gestion des conflits.


Ce qui est en jeu : la situation même de la terre 
et de ceux qui en vivent, sa propriété et son usage.   

En Bolivie subsistent d'immenses "latifundias" (propriétés privées, les plus grandes étant estimées jusqu'à 200 000 hectares) improductives, situées principalement dans la grande partie est du pays (l'Oriente, départements de Santa Cruz, Pando, Beni et, en partie, de Chuquisaca et Tarija).
Ainsi, en 2004, 87% des terres cultivables appartenaient à 7% de grands propriétaires alors que 97% de paysans disposaient des 13% restants.
Sur ces 13 % de terres, 70 % de la production agricole du pays était produite; sur les 87 % des grandes propriétés, seuls 20 % étaient produits.
L'extrême pauvreté des paysans n'est pas une légende. Dans leur très grande majorité ils sont Quechuas. 
Dans l'Oriente, les conditions étaient et sont encore parfois celles d'esclaves entièrement soumis au pouvoir du propriétaire, personne morale ou physique. Encore tout dernièrement, des assassinats dans des communautés indigènes ont été relevés, assassinats commis par des milices privées et par des policiers corrompus.
Dans l'Altiplano, la très grande pauvreté des terres liée en grande partie aux difficultés d'irrigation et aux méthodes trop archaïques, soumet les petits paysans aux problèmes de malnutrition et aux maladies associées.
Aujourd'hui encore, l'écart de niveau de vie entre un enfant pauvre et un enfant riche en Bolicie est de 222 fois. C'est le plus haut en Amérique du sud, bien après Haïti (170 fois) !


La propriété agraire aujourd’hui en Bolivie

Le sol paysan, c'est le lieu de résidence du paysan et de sa famille. 
La petite propriété, c'est le territoire de travail d'un propriétaire pour la subsistance de sa famille.  
Sol paysan et petite propriété sont indivisibles et non commercialisables. Ils ne sont pas soumis à l'impôt.
La moyenne propriété, elle appartient à une personne physique ou morale. Sa finalité est la production de produits agricoles Son extension varie entre 501 et 2 500 hectares. Sa propriété peut se transférer et s'hypothéquer. 
La grande propriété, son territoire varie entre 2 501 et 50 000 hectares. Elle a pour finalité de produire pour le marché agricole et emploie des salariés dans le cadre d'une technologie moderne. Elle est transférable, hypothécable et soumise à l'impôt tout comme la moyenne propriété.
La propriété communautaire, dont son titulaires les communautés paysannes et celles issues des ex-haciendas. Elle constitue la source de subsistance de ses propriétaires, ne peut être transférée, ni vendue, ni divisée.


Le Mouvement des Sans Terre

C'est une organisation de familles, hommes et femmes condamnés à la misère, producteurs de petites propriétés dans l'Altiplano et de latifundias à l'Orient.
Les sans terre ne sont pas une organisation criminelle comme veut encore le faire croire une presse et des organisations de droite, ils sont porteurs de l'exigence à pouvoir vivre de leur travail et sur leur sol, du droit  à la justice et à la dignité, de celui à pouvoir donner une part de terre à leurs enfants. Ils sont les premiers à revendiquer que s'impulsent et se réalisent les objectifs de l'INRA. Ce mouvement regroupe actuellement plus de dix milles affiliés et se constitue en force pour que se réalise véritablement la Réforme agraire, quitte à entrer en lutte avec les pouvoirs gouvernementaux qui s`y opposent  ou la freinent.
Il faut par exemple savoir que la Chambre d'Agriculture de l'Orient et le Comité civique de Santa Cruz siègent avec des pouvoirs importants à l'Assemblée constituante et qu'ils ont créé une Contre-Réforme qui s'oppose à toute évolution et transformation de la situation de la propriété de la terre et des paysans.


En quoi consistent l'expropriation et la redistribution

L'Etat peut décider de l'expropriation de terres de personnes physiques ou morales pour utilité publique comme par exemple : la construction de chemins et voies publiques, la protection de la biodiversité, le regroupement de terre pour dotation à communautés indigènes et propriétés collectives (Terres Communautaires d'Origine).
Les terres expropriés sont celles qui ne sont pas cultivées ou/et qui excèdent les maximum d'occupation de territoire (plus de 50 000 hectares). Une indemnisation accompagne toujours une expropriation, elle s'évalue en fonction de la valeur de la terre sur marché en cours.
L'INRA (Institut National de la Réforme Agraire)  est chargée de cette fonction. Voir ses missions et rôles dans le sous chapitre suivant.
Une fois que l'INRA a procédé à la récupération de la terre, elle procède à sa redistribution de deux façons :
 - par Dotation, qui consiste en une remise gratuite des terres fiscales en faveur exclusivement des communautés paysannes et peuples originaires. Elle est destinée uniquement aux propriétés agraires collectives.
 - par Adjudication, c'est-à-dire par la mise en vente en concours public à la valeur de la terre sur le marché. La préférence est donnée aux petits propriétaires, personnes originaires ou paysans du lieu concerné.

L'INRA, Institut National de la Réforme Agraire : sa mission et ses rôles, ses difficultés à les exercer...

L'INRA est l'organe technico-exécutif qui a pour rôle de diriger, coordonner et exécuter les politiques et programmes de distribution et regroupement des terres, propriétés et communautés indigènes et paysannes. C'est elle qui, par exemple, à la fonction de reconvertir les terres abandonnées en procédant à expropriation mais aussi de mener les campagnes nécessaires pour que soient enfin établis les titres de propriété jusqu'á présent en très grande partie seulement détenus par les grands propriétaires.

En ce moment, liées à celle des titres de propriété, l'Etat mène deux campagnes importantes : que chaque bolivien ait une carte d'identité (beaucoup de paysans n'ont pas même de certificat de naissance et ainsi les tombes ne portent que la date du décès); la déclaration des titres de propriété mais aussi... des biens et ressources ! On peut ainsi voir, devant des centres nouvellement baptisés "ressources et biens", de très longues files d'attente. Les déclarations doivent avoir été faites pour le 15 novembre 2012.

Les  grandes difficultés pour l'INRA : 
- Parvenir à se dégager, pour ne pas dire "se libérer", de la main mise d'une organisation qui la précède et qui a eu tous pouvoirs sur toute l'organisation agraire jusqu'en 2006 : la Chambre Agricole de l'Orient. Un exemple très concret : le directeur de l'Inra dans une gestion antérieur fut l'ex gérant de la dite Chambre...
- "Les fausses vaches et faux troupeaux" :  il est assez facile pour un propriétaire de moyenne ou grande propriété de déclarer des troupeaux imaginaires qui transforment des terres non exploitées en terres d'élevage. Ça parait un peu pathétique mais non, le procédé depuis peu identifié, a permis de passer au travers d'expropriations jusqu'à une date récente.
- Le peu de ressources financières dont dispose l'INRA, chargée de permettre qu'enfin le pays dispose d'une réelle économie agricole ! Les aides et soutiens de la communauté internationale sont essentiels.
- Les freins et absences de volonté politique d'une partie des gouvernements régionaux et locaux, et tout particulièrement ceux de l'Orient...
- La trop maigre participation de l'impôt, nulle pour ce qui est des petites propriétés et communautés, insuffisante pour ce qui est des moyennes et grandes (elles ont réussi à négocier avec le gouvernement un montant ne pouvant excéder 0.50 centavos par hectare...).


La Réforme Agraire, un espace de débat 
pour les droits et devoirs fondamentaux 
dans la nouvelle Assemblée Constituante

Les droits
 - Les peuples originaires et communautés paysannes ont droit à posséder un territoire.
- Tout bolivien a droit á la propriété agraire sans aucune discrimination possible.

Les devoirs
- Tous les boliviens ont pour devoir de préserver la terre de la pollution et de la désertification.

Les règlements (et causes de conflits majeurs avec les grands propriétaires et gouvernements pour la Contre Réforme, mais aussi de grandes sociétés internationales !!!)
- La propriété ne se garantie que si la terre est productive.
- La loi seule garantie une propriété médiane ou grande.
- Les superficies des propriétés agraires ne peuvent excéder ce que définit la loi de la Réforme, aucune indemnisation ne sera accordée en cas de dépassement.
- Sont causes d'expropriation immédiate l'abandon et l'inaccomplissement de la fonction économique et sociale de la propriété agraire.
- Est reconnue l'autogestion territoriale des peuples indigènes et communautés paysannes.
- Est garantie et protégée la propriété intellectuelle collective des traditions, technologies, innovations des peuples indigènes, les bénéfices sont collectifs.
- Est garantie la participation directe des peuples originaires et communautés paysannes dans la manière de contrôler les forêts et toute ressources naturelles des territoires sur lesquels elles vivent.
- Les impôts sur les propriétés médianes et grandes se calculent sur la base de la valeur réelle de la propriété en rapport au marché de la terre.
- Est promu le développement soutenable et intégral. N'est pas admis la culture ni la commercialisation d'organismes génétiquement modifiés.
- Est institutionnalisé et décentralisé l'INRA comme organisme de contrôle social et comme partenaire d'un comité de vigilance inter constitutionnelle avec la présence décisive des paysans et indigènes.
- Sont décentralisées les Universités publiques dans les provinces et régions productives afin de former des techniciens qui ont la vocation du développement productif de leur région.
- Les salariés sont incorporés au système de la Loi Générale du Travail avec régime spécial.

La Réforme Agraire devait être accomplie pour 2012. De l’aveu même de représentants de l'INRA ce ne pouvait être qu'un vœu pieux tant la tâche est immense, les freins importants, les moyens encore trop limités.


Les objectifs (en partie réalisés actuellement) pour 2015

-Recensements de toutes les terres effectués.
-Expropriations réalisées pour 70 %.
-Meilleur gestion des conflits entre l'INRA et les propriétaires, entre propriétaires et communautés.
-Service en eau potable pour tous les villages et hameaux (actuellement réalisé pour l'électricité).
-Fourniture de semences de qualité avec formation adéquate à toutes les petites propriétes et communautés.
-Développement des systèmes et techniques en matière d'irrigation et de lutte contre la désertification.
-Education à la préservation de la nature et aux défenses contre la pollution.
De nombreuses campagnes d'information et de formation sont menées dans les campagnes, sur tous les sujets qui touchent au mieux-être et au développement.
Nous avons été témoins des jugements racistes exprimés à l'encontre des populations indigènes et paysannes par des personnes de milieux aisés. Ce racisme et les discriminations qu'il engendre sont aujourd'hui l'un des fléaux importants auquel la Bolivie doit faire face. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire