samedi 29 septembre 2012

POTOSI ville tragique

Durée du séjour dans la ville : vendredi 21 septembre au mercredi 26 septembre, 6 jours.
Résidence : Koala Den (hostel international) cal. Junin 56, 110 euros/ nuit en chambre double très claire et calme, petits dej. compris très copieux, excellent accueil, bref un lieu hautement recommandable. Tient aussi un resto végetarien Koala cal. Ayacucho, devant la Moneda, carte variée, copieux, bon et très raisonnable sur les prix. Autre bonne adresse végetarienne, dans quartier populaire, clientèle indienne : Manzana Màgica, cal. Oruro 239, aussi hautement recommandable et encore moins chère.

Premières impressions

Potosi monte à l'assaut des collines sous la montagne Cerro Rico. Des maisons de briques aux fenêtres comme de milliers de regards le long des pentes. Dans les étroites rues du centre, des maisons et petits palais espagnols du XVIIe et XVIIIe, balcons de bois surplombants, plus ou moins restaurés. La ville est belle en son centre la nuit quand les éclairages mettent en relief les sculptures monumentales des églises et palais. Le Cerro Rico, ceint d'une ligne de lumières, dénie sa tragique et violente réalité.
Aisance et pauvreté se cotoient, une maison ravalée s'adosse à un espoir de maison dont seul le rez-de-chaussée est terminé, et puis suit une ruine.
Très animée, la ville aux rues étroites est sans cesse parcourue de voitures, mini-bus, camionnettes crachant d'épouvantables fumées noires et klaxonnant à tour de bras.
Beaucoup de femmes indigènes en costume régional traditionnel. Elles portent l'enfant sur le dos enveloppé d'une couverture. A chaque coin de rue elles installent leurs petits étalages, quelques fruits et boissons à même le trottoir. Les cotoient de très nombreux jeunes, indiens ou métis, vêtus de jean, tee-shirt et blousons, télephones portables à la main.
Défilés de fanfares, fêtes religieuses ou de coopératives de mineurs, cortèges joyeux et mouvants de collégiens.

Pêle mêle, en vrac... tristesse...

* Cette fillette de dix ans,  vêtements misérables, elle porte un sceau trop lourd pour elle dans le quartier qui monte à la mine, elle n'a déjà plus un regard d'enfant.
* Ordures souillant les rues, les terrains vagues, les bords des routes et les abords du Lano del Inca, un petit lac-volcan aux eaux chaudes.
* Coca Cola partout, envahissant le moindre village et les barraques rouges des tout petits commerces.
* Une femme aveugle avec son petit garçon et sa canne blanche, assise sur une marche, dans l'encoignure d'une porte.
* La puanteur des gaz d`échappement  des collectivos (mini-bus de ville) s'ajoute à la respiration rendue très difficile par l'altitude (4100 m).
* L'extrême pauvreté, pour ne pas dire la misère, d'ilôts et quartiers.
* Encore un mineur mort il y a quelques jours, cette fois non pas d'un effondrement de galerie mais d'une mauvaise manipulation de la dynamite.
* Pas d'eau, pas d'électricité, pas de tout-à-l'égout dans les quartiers habités par les mineurs. Des camions citernes livrent des containers d'eau mais c'est irrégulier.
* Les familles de mineurs ont douze à quatorze enfants. Dès le début de l'adolescence les garçons cescendent dans la mine.
* Petits boulots, des jeunes garçons vendent un peu n'importe quoi, klaxon à la main pour avertir le client.
 Ce qui me touche dans le regard de cette gamine - mais je ne la vois plus comme une enfant - c'est le poids de la fatalité de la misère, comme un destin déjà tout écrit.

... mais...

Ce matin, la ville est entièrement bloquée, blocs de pierre barrant les rues, boutiques closes, rassemblements aux moindres carrefours.
C'est un mouvement pour demander la nationalisation de la mine, seul moyen pour obtenir enfin des conditions de travail un peu décentes. De petits groupes de trois à huit personnes, femmes d'un côté, hommes de l'autre, écrivent sur des cahiers préparés par les syndicats leurs doléances, leurs revendications. Un mouvement déclanché au niveau départemental par les syndicats et qui, nous l'apprendrons quelques jours plus tard par les journaux (nous serons alors à Sucre), va donner lieu à une marche sur La Paz, entraînant d'autres villes, d'autres régions.
Un mineur rencontré à Potosi, il est aussi guide dans la mine pour les touristes (nous reviendrons plus loin sur ces visites organisées dans la mine).
40 coopératives, 4000 mineurs coopérateurs, 14 000 mineurs ouvriers. Il dit qu'avant Pinochet la mine était nationalisée, école et hôpital étaient gratuits, maintenant c'est terminé, les écoles sont souvent privées et il faut alors payer les fournitures scolaires. Il est pour les visites de touristes, ça rapporte de l'argent et du matériel. Ils manifestent pour de meilleurs conditions de travail mais ne sont pas écoutés. Il dit que le gouvernement d'Evo Morales n'est pas bon - il fait le signe de trancher la gorge - qu'il a accentué la division entre les villes et les campagnes, que maintenant il n'y en a plus que pour les paysans, selon lui narco-trafiquants, et que Morales est chef de cartel (ce sont des arguments très largement utilisés et répendus par les parties de droite et d'extrême doite ainsi que par l'église catholique et les propriétaires et politiciens au pouvoir dans la région de Vera Cruz).
Il dit encore qu'ils vivent jusqu'à 40 ans, pas plus, et meurent de la silicose et autres intoxications. Soixante morts par an au Cerro Rico, mais personne n'en parle. Au Chili, les mines sont équipées de lieux avec une bonne alimentation et d'équipement de survie en cas d'accident, c'est ce qui a sauvé les mineurs retenus bloqués pendant plus de trois semaines l'an dernier. Mais ici, en Bolivie, rien.
Deux étudiantes rencontrées, la première à Potosi, la seconde le lendemain à Sucre.
Arielle, Française, étudiante en école supérieure de commerce, s'oriente dans la finance internationale au service des ONG et commerce durable.
C'est son second séjours de deux mois à Potosi. Dans le cadre d'une ONG, elle travaille avec les enfants et ados mineurs : aide scolaire, action culturelle. Cette action la passionne.
Combien d'enfants travaillent dans la mine ? Elle dit ne pas en connaître le nombre mais il y en a beaucoup. Les conditions de travail sont très dures, ils descendent dans la mine le matin pour 4 heures de travail et viennent à l'école l'après-midi ou inversement. "Ils sont joyeux et avides d'apprendre, ils veulent devenir médecins, ingénieurs, ce n'est pas de l'ordre d'un rêve mais d'un espoir".
Ce que veulent la majorité des mineurs et des syndicats ? La nationalisation, seul moyen pour sortir de la dépendance aux coopératives pour ceux qui en sont ouvriers et de l'isolement complet pour ceux qui travaillent pour leur propre compte.
Andrea, elle est Bolivienne et étudiante en seconde année de médecine à Sucre. Elle donne des cours de français pour enfants à l'Alliance française. Veut se spécialiser en gynécologie.
Les personnes fortunées de Potosi n'investissent pas leur argent dans leur ville mais à Sucre. Elles achètent à Sucre, y bâtissent des immeubles de rapport qui défigurent la ville. 
La mentalité bolivienne est très fermée, surtoout dans les campagnes où l'emprise de l'église catholique est toujours très forte. Les hommes ne vont pas chez le médecin et encore moins les femmes. La contraception comme l'avortement sont encore très loin d'être possibles. Les filles sont enceintes très jeunes, à partir de 14 ans.  Les mentalités en ville sont plus ouvertes.
Le machisme est un frein à l'évolution. Beaucoup de femmes mais aussi d'enfants battus. Porter plainte est inenvisageable pour la très grande majorité d'entre elles.
Des médecins de l'hôpital cherchent à lier médecine traditionnelle (naturelle) et médecine moderne. Les étudiants en médecine, dans leur cursus, vont travailler dans les quartiers pauvres pour comprendre ce qui freine et apporter de l'information.

Potosi, pour nous : une bascule dans notre voyage

Nous savions que la situation sociale, économique, politique en Bolivie était tout à la fois dans une grande précarité et dans un grand espoir de changement déjà engagé depuis l'arrivée au pouvoir d'Evo Morales et son gouvernement. Mais une chose est de s'informer en amont du voyage, de lire articles et livres, une autre est de se retrouver directement en contact avec la réalité et ses contradictions et rapports de force.
Par exemple, avant de partir nous savions déjà que nous n'irions pas "visiter la mine". Le voyeurisme et la recherche d'émotions peux en accord avec la moindre des dignités se développent. Cette visite en fait partie, même si les mineurs en sont demandeurs ; visites organisées par des agences qui leurs reversent avec une immense générosité... 15 % des montants perçus.
Ces mineurs n'ont pour espérance de vie que 10 à 15 ans de travail dans la mine.
Des enfants y sont au travail.
Huit millions d'indiens et noirs esclaves morts entre 1545 et 1825. Huit millions ! Certes, en ces temps ou le culte du progrès n'existait pas encore ont tuait moins vite que pour les cinq millions de juifs morts pendant la seconde guerre mondiale, les moyens techniques et de masse ne permettaient pas encore de faire des records... Mais peut-on seulement se représenter une telle chose ? Donner à la mort de masse, au génocide, une représentation ?
Et que dire de ces soixantes morts par an maintenant ? De cette chose qui continue au goutte à goutte, comme si l'ignomimie, la grande bête malade continuaient de suinter ? et pour combien de temps encore ?
Le Cerro Rico, cette montagne percée de plus de 600 galeries, dont beaucoup ne sont pas même étayées, menace à court terme de s'effondrer sur elle-même. Et sur la ville ?

Que cherchons nous en allant visiter de tels lieux ? Le plus grand nombre de touristes viennent à Potosi uniquement pour cela, n'y restent qu'une à deux journées, certains disent y faire "une aventure sportive" (descendre dans les galeries où il faut ramper, supporter des chaleurs très élevées, respirer des poussières nocieves, mettre un masque, des combinaisons fluos et offrir aux mineurs... des bâtons de dynamite).
Il est vrai qu'il est beaucoup plus simple d'être du côté des vainqueurs que du côté des vaincus.

Et pourtant, comment ne pas aimer Potosi ? 
 Nous nous en rendrons compte en arrivant ensuite à Sucre. Non pas que Sucre soit moins belle ou encore moins riche, bien au contraire, Sucre est oppulante, du moins en son centre.  

C'est que Potosi oblige à la mise à distance de notre regard avec sa réalité. Il y fait froid la nuit, souvent aussi le jour. On y respire difficilement à cause de l'altitude (les trois premiers jours on halète littéralement après le moindre effort) mais aussi de la contamination (c'est ainsi qu'ici on nomme la pollution). La vie y est dure et il faut rester dans cette vill au moins auelaues jours pour se mesurer à elle et à ses propres résistances. Et puis, peu à peu, quelque chose se détend, une forte contracture se relâche et alors on se prend à l'aimer cette ville, à l'aimer sans apitoiement ni complaisance pour elle comme pour soi-même, les rues hors du centre deviennent autres, les gens ne sont plus une masse d'où se détacherait le spectacle de la misère, de la mort par accident. Lâcher le face à face pour la tendresse possible du regard en biais ?












  

 

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