mercredi 16 janvier 2013

A propos d'Hugo Chavez, entretien avec William Ospina




Est paru dans El Espectador (quotidien) du dimanche 13 janvier 2013 un entretien entre 
Cecilia Orozco Tascon, journaliste, et William Ospina, écrivain et essayiste.

Cet entretien fait suite á un article de ce dernier paru le dimanche précédent dans le meme journal et qui a provoqué de trés vives réactions en Colombie.

Il convient de tenir compte d'un des maux les plus importants des habitants d'Amérique du sud : la trés grande difficulté á reconnaitre une opinion ou une pensée différente de la sienne. Difficulté qui peut conduire á des actes de grande violence, comme l'assassinat.

Ce jugement ce n'est pas nous qui le portons, ce sont plusieurs personnes que nous rencontrons depuis le début de notre voyage et il est trés communément reconnu.

Nous reproduisons ici la plus grande partie de cet entretien alors que le disparition imminente de Chavez, sa réélection et sa sucession par Maduro ainsi que le ralliement d'une partie importante de l'opposition á un gouvernement qui doit se reformer autour de ce dernier ne cessent d'alimenter les journaux et débats dans les médias, déclanchant trés souvent une véritable hystérie anti Chavez dans les milieux de l'etablishment.


“Chavez entrera dans la mythologie”, William Ospina


“Le célèbre écrivain William Ospina, qui dans un article récent titré “Hugo Chavez,  un grand homme qui a tenté d'ouvrir la route à un peu plus de Justice dans un continent injuste », parle de sa position controversée, contraire à la plupart des élites de l’etablishment de la Colombie et du Venezuela, dans ces moments où le président venezuelien  est tiraillé entre la vie et la mort.” 


Le dimanche 7 janvier 2013, Ospina écrit une rubrique d’opinion publiée par El Spectador oú il prend la défense d’Hugo Chavez. Cette rubrique suscite un grand nombre de réactions  de la part des lecteurs et est considérée “á contre courant dans un pays, la Colombie, tellement déchiré”.


“William Ospina est un des plus remarquables écrivains Colombiens contemporains. Poéte, essayiste, romancier, il a obtenu une reconnaissance aujourd’hui international pour la qualité de son oeuvre littéraire, mais également pour ses recherches historiques qui l’ont amené á prendre des positions de controverse politique”.



OROZCO Une opinión assez répandue dit que lorsque le président vénézuélien Hugo Chavez mourra, il sera enterré dans un mausolée à côté de Simon Bolivar. Que pensez-vous de cette opinion qui vise à installer Chavez dans la mémoire collective comme un nouveau libérateur?


OSPINA  - Que seule l'histoire décide du souvenir au sujet des êtres humains.


OROZCO- Seriez-vous intéressé d’écrire un roman sur lui ?


OSPINA – La littérature nécessite d’avoir de la perspective pour créer sur la complexité des faits et la profondeur de leurs conséquences. Il est difficile de faire oeuvre de littérature sur des faits aussi récents.


OROZCO – Votre rubrique a surpris par son caractère belliqueux et très politique dans nos  colonnes de dimanche dernier.


OSPINA  - J’écris au sujet de livres ainsi que sur le cinéma, les voyages, mais je suis aussi passionné par le politique. Parfois, lorsque des problémes m'affectent, j'écris sur eux.


OROZCO – Pour les gouvernements de Cuba et du Venezuela vous comparez avec la Colombie et vous donnez à penser que ces pays peuvent être plus démocratiques qu'ici, oú “tout s’achéte, y compris les chemins par lesquels vont pouvoir se décider les électeurs”. Cependant, votre rubrique ignore les arguments de ceux qui accusent ces régimes de tailler les libertés en piéces.


OSPINA - Je n’affirme pas que Cuba et le Venezuela sont plus démocratiques que la Colombie.  Je dis que les victoires électorales peuvent apparaître comme plus que suspectes.  Et je peux dire aussi que la Colombie n'est pas aussi démocratique qu’il peut sembler, que sa démocratie est précaire, comme on le dénonce quotidiennement avec les gouvernements de Cuba et du Venezuela. A Cuba ou au Venezuela, au cours des 30 dernières années, n’ont pas eu lieu les massacres et holocaustes qu’a connu la Colombie.

Quand j'étais enfant, la radio versait des fleuves de haine contre la révolution cubaine. Au cours de mes huit premiéres années je n’ai pas manqué d’entendre la phrase répétée tous les jours : « Cuba, la perle des Antilles est  aujourd'hui le diable rouge de l'Amérique ». Le projet cubain a été généreux. Les États-Unis, avec le blocus, ont empêché ce projet de pouvoir exister. Examinons le début du gouvernement Chavez, l’opiniatreté avec lequel il a été attaqué, condamné, et ca a continué á chacune des réelections. Je ne pense pas que la presse conspire constamment, mais elle répéte inlassablement les memes choses, les memes préjugés qui sont sans fin, et ces maniéres de faire et d’informer ne sont pas des modéles de la démocratie.


OROZRO  - Vous nommez Chavez « un grand homme qui a aimé son peuple ». C'est peut-être une affirmation inspirée par la bataille pour la vie qu'il méne en ces heures difficiles.


OSPINA - Dire que Chavez est un grand homme n'est pas nécessairement un acte d’admiration. Il a aimé les siens et les siens le sentent. Je dis cela parce que je le vois. Et cela ne signifie pas que tout ce qu’il a pu faire soit juste, il ne s’agit pas de lui donner un diplome de sainteté.

Mon article n'est pas une louange, il est  la reconnaissance de la valeur que j'ai remarqué dans une politique générale. Ce n’est pas non plus une analyse de l’histoire d’un gouvernement. Je résume ce que je disais dans mes colonnes : le Venezuela est le seul pays d’Amérique latine où les pauvres sont heureux et oú les riches sont mécontents et cela doit bien signifier quelque chose.


OROZCO - Pour justifier les réélections de Chavez vous assurez que « la Colombie, depuis 200 ans, a des gouvernements du même type avec des visages différents, avec exactement la même politique. » Le seul un peu différent était celui d’Alvaro Uribe, écrivez-vous, “juste parce que c'était un peu pire." Uribe, qui vous critiquez, a été une fois réelu et trois fois Chavez. Comme expliquez-vous cette contradiction ?


OSPINA  - Je pense que j'ai été un peu injuste envers Uribe. En réalité, en Colombie, les pires sont plusieurs et Uribe a fait quelques bonnes choses. Le pays était plus inhabitable quand il est arrivé au pouvoir. On ne peut nier que la tranquillité est revenue dans certaines régions et certains secteurs de la société. Mais ca n’a pas toujours été fait de manière propre. Et puis, il a reçu le pays avec une guerre interne et il a réussi a ajouter trois guerres extérieures. Il est nécessaire que je précise quelque chose : je ne suis pas ennemi du principe de  réélection. Chavez, au Venezuela, a toujours été élu par le peuple. Je ne vois lá aucune atrocité.


OROZCO – Quand vous écrivez que “Chávez entrera  dans la mythologie » c’est une exagération littéraire ou une réalité politique ?


OSPINA - Admettez que toute mythologie  puisse etre une exagération littéraire.  Ce n’est pas moi qui fait de Chavez un mythe, c’est le peuple vénézuélien. Le même jour oú a été publié mon article El Pais, quotidien espagnol, titrait : « le mythe de Chavez comble son vide ». Dire de quelqu'un qu’il entre dans la mythologie, la mythologie latino-américaine, humble, pittoresque, touchante, ne veut pas dire “Louez-le ou censurez le, acquittez-le ou condamnez-le”, cela signifie : reconnaître le poids de sa présence dans l'imaginaire collectif. J'ai parlé d'Eva Peron, de Pedro Paramo, de Frida Kahlo. Chavez n'appartient pas à la bande dessinée, mais á l'histoire latino-américaine et avec sa mort il peut rejoindre d’autres mythes comme José Gregorio Hernandez, Santa Muerte, Che Guevara ou José Alfredo Jimenez (1). Une mythologie dans laquelle n’entreront pas Uribe, Menem ou un patron de multinationale.


OROZCO - En bref, vous êtes un doctrinaire du chavinisme...


OSPINA  - Je n'ai aucune doctrine, il me semble simplement élémentaire que la justice soit avec les humbles. Les riches ont de quoi se défendre,  ils savent mettre leur cri dans le ciel quand une douleur  les affecte. La  Colombie est un puits de douleur presque sans limites pour les personnes qui n'ont pas la possibilité de se faire entendre. C’est bien connu : ce qui se passe pour les riches ne se passe pas pour les pauvres.

Je crois en la possibilité de construire une société plus équitable et je comprends aussi qu'il y ait beaucoup de gens qui se sentent lésés par les changements structurels qui se font au Venezuela.


(…)


OROZCO  - Que pensez-vous du processus de paix engagé avec les Farc ?


OSPINA – Il s’est engagé et se poursuit avec tant de secret  que je crains parfois que nous n’apprenions jamais que nous sommes en paix. Ils peuvent faire taire les canons mais la paix a construire exige une société de coexistence et de reconnaissance, de dignité, de solidarité, pour qu’existe la possibilité de marcher la nuit dans les montagnes, d’avoir aussi  une mémoire partagée, toutes ces choses que les politiciens ne comprennent que trés rarement.

(...)

(1)
Le docteur José Gregorio Hernández Cisneros,1864 / 1919. Il a été à la fois médecin, scientifique et religieux vénézuélien. Solidaire avec les plus pauvres, beaucoup l'ont considéré comme un saint. Il mourut tragiquement á Caracas, renversé par une voiture.

Santa Muerte (Sainte Mort), Santísima Muerte ou encore Doña Sebastiana, est la figure de culte d'un mouvement religieux mexicain.

Diverses églises catholiques et protestantes rejettent et condamnent sa vénération en la considérant comme diabolique. L'église catholique la considère comme une tradition païenne contraire à la croyance chrétienne du Christ vainqueur de la mort.

 José Alfredo Jiménez Sandoval, 1926 / 1973. Il était un chanteur et compositeur mexicain. Il est considéré comme le meilleur chanteur de musique ranchera de tous les temps. est l'un des auteurs-compositeurs les plus renommés du Mexique et interprété aujourd'hui encore. Il a créé beaucoup de chansons (environ trois cents) toutes reconnues pour leur qualité et leur simplicité harmoniques, mélodiques et lyriques.

quand au Che Guevara, est-il nécessaire de rappeler qui il fut ?

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