Est paru dans El
Espectador (quotidien) du dimanche 13 janvier 2013 un entretien entre
Cecilia Orozco Tascon, journaliste, et William Ospina, écrivain et essayiste.Cet entretien fait suite á un article de ce dernier paru le dimanche précédent dans le meme journal et qui a provoqué de trés vives réactions en Colombie.
Il convient de tenir compte d'un des maux les plus importants des habitants d'Amérique du sud : la trés grande difficulté á reconnaitre une opinion ou une pensée différente de la sienne. Difficulté qui peut conduire á des actes de grande violence, comme l'assassinat.
Ce jugement ce n'est pas nous qui le portons, ce sont plusieurs personnes que nous rencontrons depuis le début de notre voyage et il est trés communément reconnu.
Nous reproduisons ici la plus grande partie de cet entretien alors que le disparition imminente de Chavez, sa réélection et sa sucession par Maduro ainsi que le ralliement d'une partie importante de l'opposition á un gouvernement qui doit se reformer autour de ce dernier ne cessent d'alimenter les journaux et débats dans les médias, déclanchant trés souvent une véritable hystérie anti Chavez dans les milieux de l'etablishment.
“Chavez
entrera dans la mythologie”, William Ospina
“Le célèbre
écrivain William Ospina, qui dans un article récent titré “Hugo Chavez, un grand homme qui a tenté d'ouvrir la route à
un peu plus de Justice dans un continent injuste », parle de sa position
controversée, contraire à la plupart des élites de l’etablishment de la
Colombie et du Venezuela, dans ces moments où le président venezuelien est tiraillé entre la vie et la mort.”
Le dimanche
7 janvier 2013, Ospina écrit une rubrique d’opinion publiée par El Spectador oú
il prend la défense d’Hugo Chavez. Cette rubrique suscite un grand nombre de
réactions de la part des lecteurs et est
considérée “á contre courant dans un pays, la Colombie, tellement déchiré”.
“William
Ospina est un des plus remarquables écrivains Colombiens contemporains. Poéte,
essayiste, romancier, il a obtenu une reconnaissance aujourd’hui international
pour la qualité de son oeuvre littéraire, mais également pour ses recherches
historiques qui l’ont amené á prendre des positions de controverse politique”.
OROZCO – Une opinión assez répandue dit que lorsque le
président vénézuélien Hugo Chavez mourra, il sera enterré dans un mausolée à
côté de Simon Bolivar. Que pensez-vous de cette opinion qui vise à installer Chavez
dans la mémoire collective comme un nouveau libérateur?
OSPINA - Que seule l'histoire décide du souvenir au
sujet des êtres humains.
OROZCO- Seriez-vous
intéressé d’écrire un roman sur lui ?
OSPINA – La
littérature nécessite d’avoir de la perspective pour créer sur la complexité
des faits et la profondeur de leurs conséquences. Il est difficile de faire
oeuvre de littérature sur des faits aussi récents.
OROZCO –
Votre rubrique a surpris par son caractère belliqueux et très politique dans
nos colonnes de dimanche dernier.
OSPINA - J’écris au sujet de livres ainsi que sur le
cinéma, les voyages, mais je suis aussi passionné par le politique. Parfois,
lorsque des problémes m'affectent, j'écris sur eux.
OROZCO – Pour les gouvernements de Cuba et du
Venezuela vous comparez avec la Colombie et vous donnez à penser que ces pays
peuvent être plus démocratiques qu'ici, oú “tout s’achéte, y compris les
chemins par lesquels vont pouvoir se décider les électeurs”. Cependant, votre rubrique ignore les arguments
de ceux qui accusent ces régimes de tailler les libertés en piéces.
OSPINA - Je
n’affirme pas que Cuba et le Venezuela sont plus démocratiques que la
Colombie. Je dis que les
victoires électorales peuvent apparaître comme plus que suspectes. Et je peux dire aussi que la Colombie n'est pas aussi démocratique qu’il
peut sembler, que sa démocratie est précaire, comme on le dénonce quotidiennement
avec les gouvernements de Cuba et du Venezuela. A Cuba ou au Venezuela, au
cours des 30 dernières années, n’ont pas eu lieu les massacres et holocaustes
qu’a connu la Colombie.
Quand
j'étais enfant, la radio versait des fleuves de haine contre la révolution
cubaine. Au cours de mes huit premiéres années je n’ai pas manqué d’entendre la phrase
répétée tous les jours : « Cuba, la perle des Antilles est aujourd'hui le diable rouge de l'Amérique ».
Le projet cubain a été généreux. Les États-Unis, avec le blocus, ont empêché ce
projet de pouvoir exister. Examinons le
début du gouvernement Chavez, l’opiniatreté avec lequel il a été attaqué,
condamné, et ca a continué á chacune des réelections. Je ne pense pas que la
presse conspire constamment, mais elle répéte inlassablement les memes choses,
les memes préjugés qui sont sans fin, et ces maniéres de faire et d’informer ne
sont pas des modéles de la démocratie.
OROZRO - Vous nommez
Chavez « un grand homme qui a aimé son peuple ». C'est peut-être une affirmation
inspirée par la bataille pour la vie qu'il méne en ces heures difficiles.
OSPINA - Dire que Chavez est un grand homme n'est pas
nécessairement un acte d’admiration. Il a aimé les siens et les siens le sentent. Je dis cela parce que je le
vois. Et cela ne signifie pas que tout ce qu’il a pu faire soit juste, il ne
s’agit pas de lui donner un diplome de sainteté.
Mon article
n'est pas une louange, il est la
reconnaissance de la valeur que j'ai remarqué dans une politique générale. Ce n’est pas non plus une analyse de
l’histoire d’un gouvernement. Je résume ce que je disais dans mes colonnes : le Venezuela est le seul
pays d’Amérique latine où les pauvres sont heureux et oú les riches sont
mécontents et cela doit bien signifier quelque chose.
OROZCO - Pour
justifier les réélections de Chavez vous assurez que « la Colombie, depuis 200
ans, a des gouvernements du même type avec des visages différents, avec
exactement la même politique. » Le seul un peu différent était celui d’Alvaro
Uribe, écrivez-vous, “juste parce que c'était un peu pire." Uribe, qui
vous critiquez, a été une fois réelu et trois fois Chavez. Comme expliquez-vous
cette contradiction ?
OSPINA - Je pense que j'ai été un peu injuste envers
Uribe. En réalité, en Colombie, les pires sont plusieurs et Uribe a fait
quelques bonnes choses. Le pays était plus inhabitable quand il est arrivé au
pouvoir. On ne peut nier que la tranquillité est revenue dans certaines régions
et certains secteurs de la société. Mais ca n’a pas toujours été fait de manière
propre. Et puis, il a reçu le pays avec une guerre interne et il a réussi a ajouter trois guerres extérieures. Il est nécessaire que je précise quelque
chose : je ne suis pas ennemi du principe de
réélection. Chavez, au Venezuela, a toujours été élu par le peuple. Je
ne vois lá aucune atrocité.
OROZCO – Quand
vous écrivez que “Chávez entrera dans la
mythologie » c’est une exagération littéraire ou une réalité politique ?
OSPINA -
Admettez que toute mythologie puisse etre une exagération littéraire.
Ce n’est pas moi qui fait de Chavez un mythe, c’est le peuple
vénézuélien. Le même jour oú a été publié mon article El Pais, quotidien
espagnol, titrait : « le mythe de Chavez comble son vide ». Dire de quelqu'un
qu’il entre dans la mythologie, la mythologie latino-américaine, humble,
pittoresque, touchante, ne veut pas dire “Louez-le ou censurez le, acquittez-le
ou condamnez-le”, cela signifie : reconnaître le poids de sa présence dans
l'imaginaire collectif. J'ai parlé d'Eva Peron, de Pedro Paramo, de Frida
Kahlo. Chavez n'appartient pas à la bande dessinée, mais á l'histoire
latino-américaine et avec sa mort il peut rejoindre d’autres mythes comme José
Gregorio Hernandez, Santa Muerte, Che Guevara ou José Alfredo Jimenez (1). Une
mythologie dans laquelle n’entreront pas Uribe, Menem ou un patron de
multinationale.
OROZCO - En
bref, vous êtes un doctrinaire du chavinisme...
OSPINA - Je n'ai aucune doctrine, il me semble
simplement élémentaire que la justice soit avec les humbles. Les riches ont de
quoi se défendre, ils savent mettre leur
cri dans le ciel quand une douleur les
affecte. La Colombie est un puits de
douleur presque sans limites pour les personnes qui n'ont pas la possibilité de
se faire entendre. C’est bien connu : ce qui se passe pour les riches ne se
passe pas pour les pauvres.
Je crois en
la possibilité de construire une société plus équitable et je comprends aussi
qu'il y ait beaucoup de gens qui se sentent lésés par les changements structurels
qui se font au Venezuela.
(…)
OROZCO - Que pensez-vous du processus de paix engagé avec
les Farc ?
OSPINA – Il
s’est engagé et se poursuit avec tant de secret que je crains parfois que nous n’apprenions
jamais que nous sommes en paix. Ils peuvent faire taire les canons
mais la paix a construire exige une société de coexistence et de reconnaissance,
de dignité, de solidarité, pour qu’existe la possibilité de marcher la nuit
dans les montagnes, d’avoir aussi une
mémoire partagée, toutes ces choses que les politiciens ne comprennent que trés
rarement.
(...)
(1)
Le docteur José Gregorio Hernández Cisneros,1864 / 1919. Il a été à la fois médecin, scientifique et religieux vénézuélien. Solidaire avec les plus pauvres, beaucoup l'ont considéré comme un saint. Il mourut tragiquement á Caracas, renversé par une voiture.
Le docteur José Gregorio Hernández Cisneros,1864 / 1919. Il a été à la fois médecin, scientifique et religieux vénézuélien. Solidaire avec les plus pauvres, beaucoup l'ont considéré comme un saint. Il mourut tragiquement á Caracas, renversé par une voiture.
Santa Muerte (Sainte Mort), Santísima Muerte ou encore Doña Sebastiana, est la figure de culte d'un mouvement religieux mexicain.
Diverses églises catholiques et protestantes
rejettent et condamnent sa vénération en la considérant comme
diabolique. L'église catholique la considère comme une tradition païenne
contraire à la croyance chrétienne du Christ vainqueur de la mort.
José Alfredo Jiménez Sandoval, 1926 / 1973. Il était un chanteur et compositeur mexicain. Il est considéré comme le meilleur chanteur de musique ranchera de tous les temps. est l'un des auteurs-compositeurs les plus renommés du Mexique et interprété aujourd'hui encore. Il a créé beaucoup de chansons (environ trois cents) toutes reconnues pour leur qualité et leur simplicité harmoniques, mélodiques et lyriques.
quand au Che Guevara, est-il nécessaire de rappeler qui il fut ?
tres interessant
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